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Il faut mettre fin au cauchemar néoconservateur

par Daniel Levy

Haaretz, 5 août 2006

L'un des aspects les plus remarquables de la dernière guerre du Liban est la symétrie quasi-parfaite des politiques israélienne et américaine. Un véritable ami à la Maison-Blanche. Pas de désescalade et de stabilisation, honnête courtier, bla-bla diplomatique de la part de ce président. Super ! Sauf qu'Israël avait vraiment besoin d'une stratégie rapide de sortie de conflit — ses options diplomatiques ayant été réduites par la faiblesse et la marginalisation américaine dans cette région — et qu'il s'est retrouvé à durcir ses opérations aériennes et terrestres, d'une façon qui a largement bénéficié au Hezbollah, tragédie de Cana incluse. L'échelon américain a disparu sans laisser d'adresse.

Plus inquiétant, alors qu'ici tout le monde peut s'identifier à l'intérêt d'Israël de sécuriser sa frontière nord et à la justification de riposter au Hezbollah, l'objectif de sauver la fragile Révolution du Cèdre libanaise sonne moins nettement israélien. Peut-être un programme inventé ailleurs. Tandis que les hostilités s'intensifient, la phrase "guerre par procuration" a gagné en résonance.

Les Israéliens se sont habitués à un soutien américain d'une nature différente — moins instrumental, plus émotionnel, mais aussi responsable. Un ami fiable, prêt à lui prêter assistance pour reprendre le chemin de la stabilisation lorsque c'est nécessaire. Après cette crise, Israël se réveillera-t-il tardivement devant les implications de ce changement tectonique qui s'est produit dans la politique étasunienne au Proche-Orient ?

En 1996, un groupe d'agitateurs, dont Richard Perle et Douglas Feith, qui s'opposaient alors à la politique des Etats-Unis, présentèrent un plan, intitulé "Une cassure nette : Une nouvelle stratégie pour rendre le royaume sûr"[1], au nouveau Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou. Cette "cassure nette" était à propos du processus de paix qui prévalait, suggérant qu'Israël poursuive une combinaison de reculades, de déstabilisation et de limitation de l'expansion islamiste dans la région, y compris par des frappes contre la Syrie et le renversement de Saddam Hussein en faveur d'un "contrôle Hachémite de l'Irak". Le cheval israélien qu'ils ont soutenu alors n'était pas à la hauteur de la tâche.

Dix ans plus tard, tandis que Netanyahou se languit dans l'opposition en tant que chef d'une petite faction du Likoud, Perle, Feith et leurs amis néoconservateurs ont gagné à juste titre la réputation d'être les redoutables inspirateurs de la politique étrangère de George Bush.

De nombreux Israéliens ne connaissent peut-être pas les protagonistes-clés néocons, leurs groupes de réflexion et leurs publications, pourtant, ce sont eux qui redéfinissent la région dans laquelle nous vivons. Ce groupe uni "d'intellectuels de la défense" — centrés autour de Bill Kristol, Michael Ledeen, Elliott Abrams, Perle, Feith et d'autres — était considéré comme plutôt cocasse, jusqu'à ce qu'ils s'associent avec des faucons républicains très influents, tels que Dick Cheney, Donald Rumsfeld et Newt Gingrich, et la droite chrétienne, devenant une véritable locomotive. Leur programme : la suprématie mondiale unilatérale et agressive des Etats-Unis, une vision radicale des changements de régimes vers la démocratisation, avec une fixation sur le Proche-Orient, une obsession pour l'Irak et une affinité avec la politique du "vieux Likoud" en Israël. Ils sont sortis de l'ombre après le 11/9.

Se trouvant quelque peu enlisés dans le bourbier irakien, les néoconservateurs se délectent de cette nouvelle crise, affichant la prétention démesurée qui les caractérise en redimensionnant l'initiative. Inspirés par les néocons, des appels à des tueries sans fin, à ne pas discuter et à étendre les hostilités à la Syrie et à l'Iran inondent la presse et la blogosphère étasuniennes. Et Gingrich, lui, appelle [carrément] à une troisième guerre mondiale pour "défendre la civilisation".

Démêler les intérêts d'Israël de l'écheveau de la "destruction créative" organisée par les néocons, sur les décombres du Proche-Orient, est devenu un défi urgent pour les décideurs israéliens. Une Amérique qui ne comprend pas le contexte local, la construction des alliances, le retour de griefs et qui cherche à remodeler la région grâce à un mélange simpliste de bombes et de scrutins, finit par se saborder elle-même en entraînant Israël. Le spectacle de la Secrétaire d'Etat Rice, cette semaine, prenant le chemin de retour sans avoir pu poser le pied dans aucune capitale arabe, devrait donner à réfléchir à Washington et à Jérusalem.

L'Afghanistan n'est toujours pas sécurisé. L'Irak exporte l'instabilité et, peut-être aussi, la terreur. Les tenants iraniens d'une ligne dure ont été encouragés et se sont renforcés. Pendant ce temps-là, dans toute la région, les gens n'ont jamais été plus radicaux et, dans les pays dont les régimes restent à "transformer" — l'Egypte, la Jordanie et l'Arabie Saoudite —, ils sont certainement plus hostiles envers Israël et les Etats-Unis que ne le sont leurs dirigeants. En n'écoutant pas, en refusant de discuter avec des acteurs importants, bien que problématiques, de la région, la capacité de prendre des décisions s'en est trouvée appauvrie.

Israël a des ennemis, des intérêts et des impératifs de sécurité, mais il n'y a aucune logique pour qu'un pays se porte volontaire pour la ligne de front dans une guerre des civilisations, idéologique, malavisée et évitable.

Alors, que faudrait-il faire, des deux côtés de l'océan ?

Il faut convenir, il est difficile pour Israël d'avoir une stratégie régionale déphasée de l'administration étasunienne du jour. Cependant, l'approche néoconne n'est pas récusée et Israël ne devrait pas lui fournir le moyen de reprendre l'ascendance. Un retour des Etats-Unis à une diplomatie proactive, réaliste et multilatérale, avec un engagement fort et soutenu qui apporte un progrès concret, servirait mieux ses propres intérêts, ainsi que ceux d'Israël et de la région. C'est cela qu'Israël devrait encourager. Israël serait même peut-être obligé de prendre les rênes — par exemple, repenser la politique vis-à-vis du Hamas ou de la Syrie — et Israël devrait certainement travailler intensément avec le président de l'Autorité Palestinienne, Mahmoud Abbas, à encourager ses efforts pour arriver à une entente nationale qui serve de base à un gouvernement stable, à la tranquillité en matière de sécurité et à de futures négociations de paix. Une politique assortie de l'aval casher de Jérusalem pourrait être vue comme moins abominable à Washington.

Au-delà de cela, Israël et ses amis aux Etats-Unis devraient sérieusement reconsidérer leurs alliances, non seulement avec les néocons, mais aussi avec la Droite Chrétienne. La plus grande journée du lobby "pro-israélien" durant cette crise a été mobilisée par le Pasteur John Hagee et ses Chrétiens Unis Pour Israël, qui croit en l'Armageddon, avec toutes ses implications pour une fin plutôt particulière à l'histoire juive. C'est seulement demander de devenir la mère de toutes les alliances idiotes autodestructrices et odieuses. Les internationalistes républicains, démocrates et israéliens traditionnels doivent construire un récit alternatif au cauchemar néocon, en identifiant les intérêts communs dans une politique qui rétablisse le leadership, le respect et la crédibilité des Etats-Unis dans la région en favorisant la sécurité et la stabilité, en poursuivant la résolution du conflit et en encourageant les conditions pour des sociétés plus ouvertes (en opposition à la vénération des élections serrées). Les deux dernières années de la présidence de Bush peuvent être soit l'occasion de progresser, soit un exercice de limitation désespérée des dégâts. Cela sonne paradoxal, mais Israël devrait y réfléchir et même aider à réorienter les attentes américaines.

Daniel Levy a été membre de l'équipe officielle israélienne de négociation aux pourparlers d'Oslo et de Taba et il a été le principal négociateur israélien du projet de l'Initiative de Genève.

Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]

note :
[1] Lire : Une Cassure Nette : Une Nouvelle Stratégie Pour Sécuriser Le Royaume [A Clean Break: A New Strategy for Securing the Realm]