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"Cette stratégie de tension est une tentative manifeste de manipuler la ferveur
religieuse exactement de la manière que Leo Strauss a enseignée à ses élèves…"

 
   Les caricatures de Mahomet sont-elles
un coup monté par les néocons ?
    Jean-François Goulon
le 16 février 2006

Nous sommes-nous tous fait avoir par quelques-unes des personnes parmi
les plus bigotes du monde ? (Il ne s'agit pas des Musulmans fondamentalistes !)

Voyons un peu qui est ce type à l'origine de toute cette frasque des caricatures. Il s'appelle Flemming Rose, il est rédacteur en chef des pages culturelles du Jyllands-Posten, le journal danois qui a publié en premier ces caricatures, le 30 septembre 2005. Se présentant comme un défenseur de la liberté d'expression s'insurgeant contre la frilosité de la société danoise et l'impossibilité d'obtenir des illustrations pour un ouvrage sur le prophète Mahomet, Flemming Rose est en fait un fervent partisan des néocons américains et de leur rhétorique du "clash des civilisations".

Flemming Rose rencontre Daniel Pipes, l'idéologue et gourou néoconservateur américain, le 25 octobre 2004 à Philadelphie, aux Etats-Unis. Il repart avec une interview en poche et publie le 29 octobre 2004 un article intitulé : "La menace de l'Islamisme", dans lequel il fait l'apologie de la vision de Daniel Pipes (et des néocons) sur le monde musulman et du risque que ce dernier constitue pour la survie de la civilisation occidentale. Certains prétendent que c'est lors de cette rencontre à Philadelphie que Pipes et Rose auraient mis au point la tactique des caricatures pour enflammer le monde musulman. Bien sûr, Daniel Pipes le nie fermement, mais la bonne question qu'il faut se poser ici est : En quoi Daniel Pipes était-il qualifié pour inspirer un tel article à Flemming Rose ?

Disciple de Leo Strauss[1]

Professeur de philosophie politique à l'université de Chicago de 1953 à 1973, Leo Strauss a créé toute une génération d'idéologues et de politiciens qui, aujourd'hui, sont infiltrés dans le gouvernement américain et dans le milieu néoconservateur. Parmi ses étudiants ont retrouve... Daniel Pipes, Richard Perle, Michael Ledeen, Paul Wolfowitz & John Bolton...

Daniel Pipes a fondé Campus Watch [surveillance des campus], une organisation dédiée à l'éradication de tous les traitements académiques du Moyen-Orient qui ne se conforment pas à ses vues très étroites, que l'on peut décrire avec euphémisme comme fanatiquement hostiles à l'Islam, aux Arabes et à tous ceux qui s'opposent à son extrême nationalisme israélien. Campus Watch répertorie dans une liste noire les professeurs qui refusent de débiter la ligne pro-israélienne du parti républicain et encourage activement les étudiants à espionner leurs professeurs et à dénoncer les scélérats.

À quel point Daniel Pipes est-il mauvais ? Il veut la destruction totale des Palestiniens par la voie militaire. En vérité, vu du monde musulman, son racisme est à peu près aussi flagrant que celui du président iranien voulant rayer Israël de la carte et niant l'Holocauste, Mahmoud Ahmadinejad. Les fréquentes éruptions de racisme de Daniel Pipes — destinées à attiser la soif des néocons pour un conflit total des cultures — lui ont valu d'être nommé (sans rire) par George Bush à l'Institut Américain de la Paix [The U.S. Institute of Peace], un groupe de réflexion financé par le Congrès.

"Il y a quelque chose de pourri et pas qu'au Royaume du Danemark"

On se souvient du roi Christian X menaçant d'arborer l'étoile jaune en solidarité avec les Juifs et contre les Nazis. Mais faut-il rappeler que ce pays est tout sauf laïque ? En effet, l'Eglise évangélique luthérienne y est religion d'état et le chef de l'Etat danois se doit d'y appartenir. Pour nous, Français, attachés depuis longtemps à la séparation de l'Eglise et de l'Etat et à la laïcité, nous avons un peu de mal avec tous ces pays tels que la Grèce, le Danemark, la Finlande, l'Irlande, le Portugal, etc. qui semblent vouloir coûte que coûte rester ancrés dans leur nationalisme étroit. Certes, tous ces pays ont élargi leur mentalité depuis quelques dizaines d'années en intégrant l'UE et ils sont bien obligés d'accepter et de reconnaître les citoyens des autres états-membres. Il leur a donc fallu trouver un nouvel ennemi, à la fois à l'intérieur et à l'extérieur de l'Europe. Et idéalement c'est le Musulman qui l'incarne. Voilà pourquoi, par exemple, la Turquie n'est pas prête d'entrer dans l'Europe. Et ce n'est pas qu'un problème de géographie !

Il y a quelques années, Florence Aubenas (du journal Libération) était venue au Danemark et y avait fait un reportage sur la montée de l'extrême droite et de la xénophobie. Le constat était clair : le Danemark devenait de plus en plus intolérant au point qu'il y est devenu de bon ton d'être ouvertement xénophobe. "La classe politique dit en toute impunité des choses affreuses, notamment que ces minorités sont comme un cancer que l'on doit extraire par opération. C'est une rhétorique nazie", estime la cinéaste danoise Annette Olesen.

Le Premier ministre danois, Anders Fogh Rasmussen, retranché derrière le principe fondamental de la liberté de la presse, fait partie des quelques fans de Bush en Europe. Baignant dans la rhétorique "nous-les-bons contre eux-les-méchants" et après avoir envoyé des troupes dans la croisade contre l'Irak, il omet de nous rappeler qu'au Danemark, la liberté d'expression est à géométrie variable, notamment lorsqu'il s'agit de fustiger les bigots ou de caricaturer le Christ. Le blasphème y est réprimé par la loi (art. 140 du code pénal danois : "quiconque fait outrage à la foi ou au culte d'une communauté religieuse légalement établie dans le pays est passible de 'prise de corps' [mise en détention pour crime]" ).

La presse en parle (un peu)

Dans une brève mention du Washington Post on trouve un indice sur un fait absolument nécessaire pour comprendre la situation. Le Post décrit cette affaire comme "une insulte calculée... par un quotidien de droite dans un pays où la bigoterie envers la minorité musulmane est un problème majeur, même s'il est fréquemment occulté".

Mikael Rothstein, professeur de religion comparée à l'Université de Copenhague, a déclaré à la BBC : "Des agents assez persuasifs sont derrière l'affront flagrant fait à l'encontre de l'Islam dans le but de provoquer les Musulmans". Flemming Rose, le rédacteur en chef des pages culturelles du JP, en est un "agent-clé".

L'International Herald Tribune, a publié le 1er janvier 2006 un reportage sur les caricatures offensantes dans lequel Rose reconnaissait lui-même que son libéralisme avait ses limites, qu'il ne publierait pas une caricature d'Ariel Sharon étranglant un bébé palestinien[2], étant donné que cela serait considéré comme "raciste". Toutefois, il serait d'accord pour publier une caricature se moquant de Moïse ou une montrant Jésus en train de boire une pinte de bière. (On notera l'étrange notion d'égalité de traitement : Jésus buvant une pinte de bière et Mahomet coiffé d'un turban en forme de bombe !).

Justement, en 2003, un caricaturiste avait envoyé des dessins se moquant de Jésus, et ce même Flemming Rose a refusé de les publier au prétexte que cela pourrait choquer les lecteurs du Jyllands-Posten, et même "provoquer un tollé".

Conclusion

La réaction de la rue arabe a-t-elle été hors de proportion ? Absolument. Etait-ce prévisible ? Absolument. S'agissait-il d'un plan intentionnel destiné à provoquer la colère Arabe et par conséquent de générer un dégoût des occidentaux pour le monde musulman ? L'implication de Pipes et de Rose plaide en faveur de cet argument.

Cela est-il annonciateur de la guerre prochaine, contre l'Iran, la Syrie, le Liban, ... ?

JFG

Notes :

[1] Pour en savoir plus, lire : "Leo Strauss : l'idéologie fasciste des faucons".

[2] Voir l'article (et la caricature de Sharon) Ce que Sharon avait en tête…