Crise financière
Les banques doivent nettoyer le foutoir qu'elles ont créé
Indfependent, lundi 15 septembre 2008
article original : "Andreas Whittam Smith: The banks must clean up the mess they've created"
par Andreas Whittam SmithLe PDG de Lehman Brothers a admis que la crise du crédit
pourrait causer des dégâts, mais qu'elle ne serait pas fatale
Dans une série qui a commencé il y a juste un peu plus d'un an avec le resserrement vicieux du crédit, les marchés financiers viennent de connaître un nouveau week-end incroyable. Car, lorsqu'une firme est sur le point de s'effondrer - et cette fois-ci, c'est l'un des géants de Wall Street, Lehman Brothers -, le travail harassant qui consiste à essayer de concevoir un plan de sauvetage se trouve souvent comprimé en une période de 48 heures, courant du vendredi soir au dimanche soir. Le délai absolu pour faire une annonce dès la reprise des affaires le lundi produit la pression nécessaire.
Lehman Brothers est l'une des quatre grosses firmes bancaires d'investissement de New York. Lehman a été fondée en 1850. Je livre cette date pour montrer à quel point les leaders du marché sont vénérables. Goldman Sachs remonte à 1869, Merrill Lynch a vu le jour en 1914 et Morgan Stanley est un rejeton des affaires bancaires de J.P. Morgan, né en 1935. A Londres, seul Rothschild a une aussi longue histoire d'indépendance dans les affaires.
Si Lehman Brothers disparaît, cela laissera Goldman Sachs comme seul héritier à Wall Street de la grande tradition bancaire juive-allemande. Les fondateurs de ces firmes immigrèrent aux Etats-Unis au milieu du 19ème siècle - et, parmi eux, les Loeb, les Guggenheim, les Kahn, les Schiff, les Seligman, les Strauss, les Warburg et les Lehman. Ils ont amené avec eux les quelques compétences que les règlements anti-juifs en Allemagne leur avaient permis d'acquérir, colportant des marchandises à pied ou avec un chariot. Henry Lehman commença à vendre de l'épicerie, des articles de mercerie et des ustensiles aux planteurs locaux de coton en Alabama. L'histoire de la firme qui a suivi peut être rapidement racontée - des articles de mercerie au courtage de coton dans le Sud, puis au courtage de coton à New York et enfin, à la banque d'investissement à New York. Aujourd'hui, 158 ans plus tard, Lehman Brothers emploie 26.000 personnes dans le monde entier.
Dans Our Crowd, The Great Jewish Families of New York [Les Nôtres, les Grandes Familles Juives de New York], Stephen Birmingham raconte comment l'un des frères Lehman de l'époque, Mayer, à l'apogée de la panique à la bourse du coton, sortait à grands pas de son bureau en chapeau de soie, redingote et pantalons rayés, brandissant sa canne à pommeau en or, arborant un sourire sur son visage et générant un air de confiance. Un jeune collègue se précipita vers lui et lui dit : "M. Mayer, n'êtes-vous pas inquiet ?" Mayer répliqua : "Mon jeune ami, je peux voir que vous n'avez aucune expérience d'un marché qui chute" et il repris sa marche.
C'est exactement la même attitude que le successeur actuel de Mayer Lehman, Richard Fuld, le PDG, a adoptée. Car s'il a admis que la crise du crédit causerait sans aucun doute des dégâts, elle ne serait pas fatale. Il n'a pas pris de mesures pour l'éviter lorsqu'il le pouvait. M. Fuld a poussé trop loin le sang-froid de ses prédécesseurs. Parce qu'à un certain moment, difficile à définir, l'admirable confiance en soi se transforme en témérité, et il est allé trop loin. Ainsi, cet ancien trader d'obligations, de 62 ans, qui a dirigé la société pendant 14 ans comme une famille très unie, bien qu'avec une main de fer, a été lent à reconnaître les pertes de la firme et a fait fuir les investisseurs potentiels effrayés, en essayant de mener des négociations serrées, comme d'habitude. En conséquence, il a dû passer le week-end à se demander si quelqu'un secourrait maintenant sa firme, même à un prix dérisoire. Barclays Bank s'est retirée hier soir. La signification de ces discussions va bien au-delà du sort même de Lehman Brothers. Car la Banque de la Réserve Fédérale et le Trésor des Etats-Unis ont essayé de trouver une solution aux difficultés de Lehman qui n'implique pas l'aide financière du gouvernement, comme il l'a fait à des occasions précédentes. La Fed et le Trésor ont vivement encouragé les rivales de Lehman à lui apporter le soutien financier temporaire dont elle a besoin, sans le soutien du gouvernement, et de le faire pour le bien du système financier lui-même.
Et ce message, selon lequel le gouvernement en a assez fait et qu'à partir de maintenant les banques doivent nettoyer elles-mêmes le foutoir qu'elles ont créé, est semblable à la déclaration que le Gouverneur de la Banque d'Angleterre, Mervyn King, a faite jeudi dernier. M. King a dit que les prêteurs immobiliers en détresse ne devraient pas compter sur la Banque d'Angleterre pour qu'elle les soutienne à travers cette crise du crédit. Il a aussi mis en garde le gouvernement [britannique] contre la garantie des crédits hypothécaires.
Ce matin, à New York et à Londres, les banquiers se sont réveillés en se demandant s'ils se retrouvent à présents tout seuls. L'idée pernicieuse selon laquelle leurs firmes sont trop importantes pour qu'on les laisse s'écrouler est en train de devenir très rapidement un autre mythe. La pire crise financière depuis les années 30 est comme l'Ouragan Ike. Il n'y a rien auquel vous pouvez vous accrocher pendant que l'ouragan fait rage.Traduit de l'anglais (États-Unis) par [JFG-QuestionsCritiques] LIRE AUSSI :
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"Le sort de Lehman Brothers", édito du Wall Street Journal (12 sept 2008).
"Une tempête de niveau 3 s'apprête à frapper Wall Street", par Martin Huthchinson, 3 nov 2007.
"Un bouche-à-bouche ne réussira pas à ressusciter les économies naufragées",par Walden Bello, 1er mars 2008.
"Crise financière : A quel point est-ce grave ?", par Simon Birritteri, 18 mars 2008.