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Shinzo Abe dans la tourmente

Japon : Tsunami politique en vue

par Hisane Masaki

5 juillet 2007, Asia Times Online
article original : "Japan : A political tsunami approaches"

TOKYO - Un tsunami politique pourrait bientôt balayer le Japon et altérer son paysage politique. Le pays est en proie à une vague de colère publique de plus en plus grosse contre le fiasco du gouvernement sur les dossiers des retraites [NdT : les dossiers de quelques 50 millions de cotisants ont été perdus] et autres scandales.

Le gouvernement débordé de toutes parts du Premier ministre Shinzo Abe arrivera-t-il à maintenir sa tête hors de l'eau ? A moins qu'il ne soit censuré par les électeurs (et les retraités) dans les élections-clés nationales, qui auront lieu ce mois-ci ! Ou alors, y aura-t-il d'autres changements de première importance ?

Pour Abe, les élections du 29 juillet à la Chambre des Conseillers - la chambre haute de la Diet (le parlement japonais) - sera l'instant de vérité. En effet, ce sera son premier test électoral depuis son arrivée au pouvoir en automne dernier. Telles que sont les choses aujourd'hui, la coalition emmenée par le Parti Démocrate Libéral (PDL) d'Abe se retrouve face à une bataille difficile pour garder la majorité.

S'il perd le contrôle d'une chambre, après avoir courtisé les conservateurs indépendants et peut-être même les membres des petits partis conservateurs, le gouvernement Abe ne deviendra au mieux qu'un canard boiteux. Les chances qu'il soit renversé immédiatement après les élections, à cause d'une défaite écrasante, sont aussi de plus en plus fortes. Certains experts disent même que l'élection à venir pourrait déclencher une nouvelle vague de réalignements dans la politique japonaise.

Pour Abe et sa coalition, les choses vont de mal en pis. Plombé par la question des retraites et toute une série d'autres scandales politiques, le soutien du public à son gouvernement reste confiné à des niveaux abominablement bas, certains sondages d'opinion montrant une glissade en dessous des 30% - chiffre largement considéré par tout gouvernement comme un niveau de crise.

Dans un autre camouflet infligé à un premier ministre assailli et à sa coalition, Fumio Kyuma "la gaffe" a démissionné mardi, après avoir causé l'indignation générale par ses remarques sur Hiroshima et Nagasaki, interprétées par beaucoup comme justifiant leur bombardement atomique par les Etats-Unis, dans les derniers jours de la Deuxième Guerre Mondiale. Kyuma a dit dans un discours, le week-end dernier, que les attaques à la Bombe A "ne pouvaient pas avoir été évitées".

Le portefeuille de la Défense est le troisième ministère qui change de mains depuis qu'Abe, succédant à Junichiro Koizumi, a été investi en septembre dernier. L'un des deux membres de son cabinet, entachés par les scandales, a démissionné en décembre dernier et l'autre s'est suicidé en mai. La démission de Kyuma - et son acceptation par Abe - est destinée à minimiser tout effet négatif sur les perspectives de la coalition dans les élections à venir.

A 54 ans, Yuriko Koike, la conseillère spéciale d'Abe sur la sécurité nationale a enfilé mercredi le costume de chef de la défense, en remplacement de Kyuma. En nommant la populaire ancienne ministre de l'environnement, comme première femme à la tête de la défense, Abe montre visiblement son souhait de la voir tenir le rôle d'icône de la coalition dans la campagne électorale, dont le coup d'envoi sera donné le 12 juillet.

Entre la vie et la mort politique

Abe, qui débute un deuxième mandat de président du PDL, a cherché désespérément, en vue du scrutin du 29 juillet, à adoucir la fureur des électeurs sur la mauvaise gestion des dossiers de retraites et des autres scandales. Mais, jusqu'à présent, comme l'indiquent les derniers sondages d'opinion, il n'y a pas réussi.

L'Agence d'Assurance Sociale, qui se trouve sous la juridiction du Ministre de la Santé, du Travail et de la Protection Sociale, s'est retrouvée avec quelques 50 millions de dossiers de retraites non-identifiés. Cela signifie que beaucoup de retraités pourraient se faire rouler.

Abe a promis de remettre en ordre d'ici un an le problème des retraites. Aussi, la semaine dernière, pour faire face à ce fiasco, la coalition emmenée par le PDL a fait voter deux projets de loi relatifs aux pensions. Ces deux nouvelles lois, votées lors d'une session ordinaire prolongée de la Diet, dissoudront l'Agence d'Assurance Sociale et enverront à la casse le statut de cinq années sur les limitations des réclamations concernant les retraites impayées.

La semaine dernière, à la suite d'une série de scandales impliquant certains hommes politiques, tant dans le camp au pouvoir que celui de l'opposition, la coalition a aussi fait voter un projet de loi pour améliorer la transparence dans les transferts de fonds politiques. Cette nouvelle loi requière que les groupes de gestion des fonds politiques des législateurs joignent un reçu à leurs rapports financiers pour toute dépense à partir de 50.000 yens [300 €].

La semaine dernière, la coalition a aussi fait passer en force à la Diet un projet de loi pour réviser la Loi sur le Service Public National, pour s'occuper du problème de la pratique de l' "amakudari" (descente du paradis) consistant à recruter des hauts-fonctionnaires après leur retraite dans des filiales du gouvernement, ainsi que dans les grosses entreprises.

Sur l'ordre d'Abe, la coalition a étendu la session du parlement de 12 jours à partir de sa date limite originellement fixée au 23 juin, jusqu'à ce jeudi, pour garantir la promulgation de ces lois-clés. En conséquence, l'élection quadriennale de la Chambre des Conseillers a été retardée d'une semaine par rapport à la date d'origine fixée du 22 au 29 juillet. Il reste à voir si - et comment - ce délai affectera les résultats.

A côté du fiasco des retraites, la réhabilitation du système de sécurité sociale déliquescent - y compris les retraites, l'assurance médicale et l'assurance de soins à domicile pour les personnes âgées - a fait surface comme une tâche pressante pour le gouvernement qui se trouve au beau milieu d'une population rapidement vieillissante.

De nombreux détracteurs accusent à la fois la coalition menée par le PDL et le Parti Démocrate du Japon (PDJ) d'être irresponsables ; le premier, parce qu'il à opté pour se tenir à l'écart d'une hausse possible de la taxe sur la consommation, actuellement de 5%, après l'élection à la Chambre des Conseillers ; et le second, parce qu'il a abandonné sa proposition faite un peu plus tôt d'une augmentation de trois points du taux de TVA, qui serait passé ainsi à 8%. De nombreux experts disent - et même de nombreux électeurs le ressentent - qu'une hausse de la taxe sur la consommation deviendra inévitable dans un futur pas si éloigné pour financer les coûts croissants de la sécurité sociale et enrayer une montée encore plus forte des dettes du gouvernement.

La taxe sur la consommation a été introduite en 1989, mais ce n'est que quelques mois plus tard que le Premier ministre d'alors, Noboru Takeshita, dut démissionner. Le taux de cette taxe a augmenté en 1997, passant de 3%, à l'origine, à 5%, son taux actuel. A la suite de cette augmentation, la dépense des consommateurs s'est effondrée et le pays a re-glissé dans la récession. L'année suivante, Le PDL avait souffert d'une perte invalidante dans les élections de la Chambre des Conseillers, forçant le Premier ministre d'alors, Ryutaro Hashimoto, à quitter le pouvoir.

Capitalisant sur l'indignation publique générée par les scandales - pensions et autres - Ichiro Ozawa, le chef du plus gros parti d'opposition, le PDJ, a fait serment de mettre sa vie politique en jeu et de priver de majorité à la Chambre des Conseillers la coalition emmenée par le PDL. Ozawa a bien fait comprendre ce jeudi qu'il se retirera en tant que chef de l'opposition si son camp venait à perdre. Si la coalition perd la majorité à la chambre haute, le gouvernement d'Abe n'aurait plus qu'à expédier les affaires courantes en attendant la prise de fonction du nouveau Premier ministre.

Pour s'en assurer, la coalition entre le PDL et le Nouveau Komeito[1], un parti soutenu par l'organisation bouddhiste laïque Soko Gakkai, commande plus d'une majorité des deux-tiers sur les 480 sièges de la Chambre des Représentants, la chambre basse de la Diet, bien plus puissante, après une victoire écrasante aux élections de septembre 2005, sous Koizumi. Néanmoins, si la coalition PDL/Nouveau Komeito perd une majorité, elle se retrouvera face à des difficultés importantes pour faire avancer son programme législatif, causant la paralysie politique.

Aujourd'hui, la coalition PDL/Nouveau Komeito détient une majorité de 134 sièges sur les 242 que compte la Chambre des Conseillers, dont 110 pour le PDL et 24 pour le Nouveau Komeito. Le PDJ, quant à lui, a 81 sièges et le reste est détenu par de plus petits partis et les indépendants [27 sièges].

Il semble presque certain que la coalition emmenée par le PDL perdra quelques sièges lors des élections de ce mois. Sont à prendre les sièges de la moitié de la chambre, élus en été 2001, peu après que Koizumi prit les rênes du PDL et du gouvernement. Lors de cette élection, le PDL remporta une grosse victoire en pleine "fièvre Koizumi" parmi les électeurs japonais.

Pour maintenir une majorité à la chambre haute, le camp au pouvoir doit remporter au moins 64 sièges, dont la plupart des indépendants coopérant avec les partis au pouvoir. Si le Nouveau Komeito assure 13 sièges, le même nombre qu'il a remporté en 2001, le PDL devra en sauver 51 pour atteindre le seuil de 64 et revendiquer la victoire pour la coalition.

Le Nouveau Komeito, en tant que partenaire de la coalition PDL, n'a pas été indemne de critiques sur les questions des pensions et autres. "Si le PDL compte sur nous pour remporter 13 sièges, nous sommes inquiets," a déclaré le représentant en chef du Nouveau Komeito, Akihiro Ota. "Il est extrêmement difficile [de maintenir 13 sièges] au beau milieu d'un tel vent contraire." Abe restera probablement le président du PDL et premier ministre si la coalition échoue seulement d'un faible écart à garder une majorité à la chambre haute. Il n'y a personne d'évident pour succéder à Abe. Le problème est que cela arrivera si la coalition devait endurer une perte plus lourde.

Le ministre des Affaires Etrangères, Taro Aso, est largement donné comme candidat le plus probable pour succéder à Abe, si ce dernier est forcé de lâcher les rênes du pouvoir. Certains experts avancent aussi le nom du secrétaire général du gouvernement, Yasuo Fukuda, comme probable candidat.

Si le PDL obtient entre 45 et 49 sièges, la coalition emmenée par le PDL pourrait encore maintenir une majorité en invitant d'autres partis, comme le Nouveau Parti Populaire (NPP), à rejoindre la coalition. Ce parti a attiré l'attention internationale parce que l'ancien président péruvien Alberto Fujimori a annoncé qu'il se présentera aux élections de la chambre haute à venir sur le ticket du NPP. A 68 ans, Fujimori, qui détient une double nationalité nippo-péruvienne, a cherché asile au Japon après l'effondrement de son gouvernement, il y a sept ans, en plein scandale. Fujimori est aujourd'hui en résidence surveillée au Chili, menacé d'être extradé vers le Pérou sur des accusations de corruption et liées aux droits de l'homme.

En attendant, Abe a exclu de tenir les élections de la Chambre des Représentants simultanément aux élections de la Chambre des Conseillers le 29 juillet prochain. "Les élections de la chambre basse sont destinées à demander aux électeurs quel gouvernement ils veulent choisir", a dit Abe dimanche dernier. "Dissoudre [la chambre basse] pour une élection générale n'est pas à l'ordre du jour".

Une bombe politique fatale ?

La démission de Kyuma de son poste de ministre de la défense, mardi, est arrivée comme une autre - et peut-être fatale - bombe politique. "Je regrette que mes commentaires aient causé du tort. J'en suis très désolé," a déclaré Kyuma après avoir soumis sa démission à Abe.

Kyuma, 66 ans, député vétéran du PDL, a causé un tollé et mis beaucoup de gens en colère, en particulier les survivants aux bombes A, lorsqu'il a déclaré dans un discours samedi dernier : "Je comprends que les bombardements atomiques sur Hiroshima et Nagasaki ont amené la fin de la guerre. C'est quelque chose qui ne pouvait être évité."

Les dirigeants japonais commentent rarement l'utilisation des bombes atomiques par les Etats-Unis contre le Japon, de peur de nuire aux liens qu'ils entretiennent avec eux, leur allié le plus important. Bien que le Japon, depuis de nombreuses années, en tant qu'unique pays ayant connu des attaques à la bombe A, ait été le meneur des appels internationaux pour l'élimination ultime des armes nucléaires dans le monde entier, il a été protégé par le parapluie nucléaire des Etats-Unis.

Abe a été en proie aux scandales politiques impliquant les propres membres de son cabinet. En décembre dernier, Genichiro Sata s'est retiré du poste de ministre de la réforme administrative pour sa responsabilité dans la "comptabilité inappropriée" de ses fonds politiques et a été remplacé par Yoshimi Watanabe. En mai, le ministre de l'agriculture, de la forêt et des pêcheries, Toshikatsu Matsuoka s'est suicidé en plein scandale impliquant ses propres fonds politiques et a été remplacé par Norihiko Agagi.

Le Premier ministre, lui-même, a reçu un déluge de critiques tant de la part du public que des partis d'opposition pour n'avoir pas réussi à bien gérer ces scandales et exercer un leadership fort. Aux yeux des critiques, Abe semble à des années-lumières des sentiments du public, considérant les scandales comme des avatars et résolu à couvrir des alliés politiques se trouvant dans une situation désespérée.

Au départ, Abe a essayé de prendre avec calme les remarques de Kyuma. Dimanche dernier, Kyuma s'est excusé de ses propos et les a rétractés. Lundi, Abe a réprimandé Kyuma et l'a mis en garde d'être plus prudent sur les mots, mais il a rejeté les appels de l'opposition pour le virer.

Visiblement, Abe a mal calculé l'opinion publique et les réponses de sa propre coalition. Même après les excuses de Kyuma et le savon public passé par Abe, les appels à la démission du ministre de la défense ont continué à s'accumuler, non seulement de la part des partis d'opposition mais aussi de la part de membres du PDL et du Komeito.

En janvier, Kyuma avait aussi critiqué les Etats-Unis sur leur façon de traiter un projet de transfert de la station aérienne du Corps des US Marine dans la juridiction de l'île d'Okinawa, la plus méridionale, et avait dit que les Etats-Unis devaient "arrêter d'être si autoritaires".

Les députés d'opposition ont critiqué la nomination de Koike par Abe, les Communistes du parti Tadayoshi Ichida disant qu'une fois elle avait répondu à un questionnaire d'un quotidien qu'elle pensait qu'il était acceptable pour le Japon d'envisager d'aller vers le nucléaire, en fonction de la situation internationale.

Diplômée de l'Université du Caire, Koike parle couramment l'arabe, ainsi que l'anglais. On dit d'elle qu'elle partage des points de vue communs avec Abe sur les questions basiques de sécurité et de politique étrangère. A l'instar d'Abe, Koike est connue pour être une partisane de la ligne dure contre la Corée du Nord.

Koike, une ancienne présentatrice télégénique du journal télévisé, fait partie de ceux qui ont joué un rôle de premier plan dans la victoire écrasante du PDL lors du dernier scrutin de la Chambre des Représentants, qui se sont tenues en sept 2005. Après les élections, Koike fut maintenue à l'environnement.

En tant que ministre de l'environnement de Koizumi, Koike a initié en 2005 la campagne "Décontracté au boulot", encourageant les employés de bureau à s'habiller légèrement, sans cravate ou sans veste, durant leurs heures de travail en été. Cette campagne fait partie des initiatives du Japon pour atteindre ses objectifs en matière de réduction de gaz à effet de serre, en vertu du Protocole de Kyoto sur la réduction du réchauffement planétaire. Abe a nommé Koike comme nouvelle patronne de la défense, espérant visiblement que cela contribuera à renverser les sombres perspectives de son gouvernement et du PDL dans les élections de la Chambre des Conseillers à venir.

Mais sa nomination ne fera rien pour apaiser la colère publique qui fait rage sur le fiasco des pensions et autres scandales. Il serait plus sûr de parier sur un verdict électoral sévère pour Abe et sa coalition, le 29 juillet.

Hisane Masaki est journaliste, commentateur et universitaire en politique internationale et en économie.

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[1] Voir : un article sur le site de Sheerbroke University - Canada

autres articles :
* Japon: Un faucon à la tête du nouveau gouvernement conservateur
* La Corée du Nord dicte la loi
* Le Japon Devient le Gendarme Américain de la Zone Pacifique

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