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Fatah al-Islam

Les Syriens regardent le terrorisme en face

Par Sami Moubayed
Asia Times Online, le 8 novembre 2008

article original : "Syrians stare terror in the face"

DAMAS — Jeudi soir, la télévision syrienne a diffusé les interviews très attendues de la cellule terroriste responsable de l’attaque à Damas en septembre dernier, qui a fait 14 morts et 65 blessés.

La télévision d’Etat a montré ce qu’elle a présenté comme étant les 12 membres du groupe islamiste partisan de la force armée, le Fatah al-Islam, et qui ont avoué avoir aidé à planifier l’attentat suicide à la voiture piégée.

Cette interview a glacé le dos de la plupart des Syriens, horrifiés d’apprendre qu’il y avait quelque chose que l’on appelle une « branche syrienne » d’al-Qaïda. Ces personnes ressemblaient à des Syriens ordinaires. Ils venaient d’endroits comme Alep, Homs et Damas. L’un d’eux était un trafiquant de 24 ans, qui faisait la contrebande d’essence entre la Syrie et le Liban. Un autre était un spécialiste dentaire, tandis qu’un troisième était un spécialiste en technologie de l’information. Un quatrième étudiait dans l’une des écoles privées qui a récemment vu le jour en Syrie. Certains d’entre eux ont dit qu’ils avaient des enfants en bas âge.

Au départ, on pensait que le terroriste qui avait conduit l’auto à l’intérieur des prémisses d’un bâtiment de sécurité, sur la route qui mène à l’aéroport international de Damas, venait d’Irak. La plaque minéralogique était irakienne et la plupart des activistes qui avaient mené des attaques en Syrie depuis 2003 venaient des zones désolées d’Irak.

Il était impossible pour les Syriens de croire que leurs concitoyens pouvaient fomenter un crime aussi sanglant contre leurs compatriotes syriens innocents. L’émission de jeudi dernier leur a prouvé qu’ils avaient tort.

Cette nouvelle information confirme que ces terroristes étaient un mélange de Syriens, de Libanais et de Palestiniens, n’opérant pas directement avec al-Qaïda, mais avec une organisation sœur appelée Fatah al-Islam, basée dans les environs de Tripoli, au Liban.

Le kamikaze qui s’est fait sauter dans cet attentat était un Saoudien nommé « Abou Aysha », dont la photo a également été diffusée à la télévision syrienne. Ce groupe voulait « nuire au régime syrien » et avait plusieurs cibles sur sa liste, dont la banque centrale syrienne. Ils avaient aussi une liste de cibles qui incluait un diplomate italien et un diplomate britannique, tous deux basés à Damas.

L’un des hommes qui est apparu à la télévision était Abdul-Baqi Hussein, le chef de la sécurité de la branche syrienne du Fatah al-Islam, et il y avait aussi Wafa Abbsi, la fille du fondateur du Fatah al-Islam, Shaker al-Abbsi. Ils ont dit que l’automobile avait été en fait volée à des Irakiens et chargée de 200 kilos d’explosifs dans une ferme en périphérie de Damas.

Très troublants furent les aveux de Wafa, la seule femme du groupe, qui s’exprimait avec son mari Yasser Unad. Ils semblaient être les plus mentalement dérangés de ce groupe de terroristes. Wafa a dit que son père avait reçu des virements d’argent pour mener ses activités militaires de la part du "Mouvement du Futur" du dirigeant de la majorité parlementaire libanaise, Saad al-Hariri. Son père n’avait jamais fait confiance à Hariri, a sous-entendu Abbsi, car il craignait que ce dernier le « vende » à vil prix. Wafa, dont le premier mari était un Syrien qui avait été tué à la frontière irako-syrienne, était arrivée en Syrie avec son deuxième mari – également Syrien – et avait été arrêtée avec le groupe terroriste après le 27 septembre.

Le récit de Wafa nous renvoie à une précédente version soutenue par le journaliste américain chevronné Seymour Hersh, qui avait écrit dans le New Yorker que Hariri, les Etats-Unis et certaines figures saoudiennes étaient responsables de la création du Fatah al-Islam.[1] S’exprimant dans l’émission Your World Today de CNN International en mai 2007, Hersh disait que ces trois parties voulaient un groupe militaire Sunnite au Liban pour combattre le Hezbollah – lequel était soutenu par l’Iran – dans l’éventualité d’un déclenchement de violence entre les Sunnites et les Chiites. Pendant que Hersh s’exprimait, la violence faisait rage dans le camp tristement célèbre de Nahr al-Bared au nord du Liban, entre le Fatah al-Islam et l’armée libanaise.[2] Ces batailles qui ont duré plusieurs semaines ont fait 400 morts.

Abbsi lui-même, le fondateur du Fatah al-Islam, fut le premier a être rapporté mort. Ces reportages furent plus tard mis en doute par ses supporters, qui affirmaient qu’il avait échappé à la violence de Nahr el-Bared. Dans son interview avec CNN, Hersh avait ajouté, « L’ennemi de votre ennemi est votre ami, exactement comme les groupes djihadistes au Liban était également là pour pourchasser Nasrallah [le dirigeant du Hezbollah]. Notre boulot est de créer, dans certains endroits – le Liban en particulier – de la violence sectaire. »

Il a tiré des parallèles entre le soutien au Fatah al-Islam par les Etats-Unis, Hariri et l’Arabie Saoudite, et le soutien américain d’Oussama ben Laden lorsqu’il combattait contre les Soviétiques en Afghanistan dans les années 80. Avec le temps, ce dernier s’est retourné contre ses créateurs et est devenu l’ennemi numéro un de l’Amérique. Les architectes de cette politique – qui appellent à la création de groupes comme le Fatah al-Islam – sont le Vice-Président étasunien Dick Cheney, le Conseiller à la Sécurité Nationale adjoint Elliott Abrams[3] et l’ancien ambassadeur et actuel Conseiller à la Sécurité Nationale saoudien, le Prince Bandar ben Sultan.[4]

Voici ce que Hersh a dit, « L’idée [était] que les Saoudiens avaient promis qu’ils pouvaient contrôler les djihadistes, afin que nous [les Etats-Unis] dépensions beaucoup d’argent et de temps… à nous servir et à soutenir les djihadistes pour qu’ils nous aident à vaincre les Russes en Afghanistan, et ils se sont retournés contre nous. Et nous poursuivons [aujourd’hui] le même modèle, comme si aucune leçon n’avait été apprise. Le même modèle : utiliser à nouveau les Saoudiens pour soutenir les djihadistes. »

Les origines du Fatah al-Islam

Ce groupe aurait été fondé en novembre 2006, émergeant d’un groupe radical palestinien nommé Fatah al-Intifada, lequel à son tour était inspiré du mouvement du Fatah de Yasser Arafat, actuellement dirigé par le dirigeant palestinien Mahmoud Abbas.

Le Fatah d’Arafat est né dans les années 60 au Koweït et gouverne actuellement en Palestine. Cependant, il est aujourd’hui pro-occidental, contrairement au Fatah al-Islam d’Abbsi. Abbsi (né à Jéricho en 1955) était lui-même membre du Fatah d’Arafat. Il a rejoint les unités militaires du Fatah et a servi en tant que pilote de Mig pour la Libye dans sa guerre contre le Tchad et a combattu contre l’occupation israélienne du Liban en 1982, en tant que combattant avec Arafat.

Il est devenu trop islamique et devint frustré par la diplomatie et le nationalisme laïc d’Arafat, rompant avec le Fatah au milieu des années 80. L’occupation israélienne de Beyrouth en 1982 a fait perdre leurs illusions à des millions de combattants dans le monde arabe, qui se sont tourné vers la seule source restante, à la fois fiable et d’inspiration, qui pouvait les unir : l’Islam. Le nationalisme arabe a été abandonné au profit du nationalisme islamique. A partir des années 80, cela a semblé être la chose logique à faire. Après tout, l’Islam avait triomphé dans son combat contre les Soviétiques en Afghanistan. L’Islam avait aussi conduit au renversement du Shah d’Iran pro-occidental, Reza Pahlavi, et à l’assassinat d’Anwar el-Sadate en 1981. L’Islam politique semblait être la bonne – et logique – chose vers laquelle se tourner.

Abbsi s’installa en Syrie pour travailler contre Arafat et prendre un nouveau nom. Contrairement à ce que les médias anti-syriens disent à Beyrouth, les Syriens ne l’ont pas toléré. Au contraire, ils sont devenus de plus en plus suspicieux vis-à-vis de ses activités et l’ont mis derrière les barreaux pendant trois ans. A sa libération, il est devenu proche d’Abou Moussab al-Zarkawi, le dirigeant terroriste de l’Irak, qui, à cette époque, était basé dans sa Jordanie natale.

Ils ont planifié ensemble l’assassinat, en 2004, de Lawrence Foley, un diplomate étasunien basé en Jordanie. Ils ont été tous les deux condamnés à mort par contumace par des tribunaux jordaniens, en juillet de cette année-là. Abbsi est ensuite allé au Liban, échappant à un mandat d’arrêt, à la fois en Syrie et en Jordanie. Son nom a refait surface en Jordanie, en janvier dernier, lorsque deux activistes se sont engagés dans une fusillade avec la police jordanienne dans la ville septentrionale d’Irbid. Arrêtés, ils ont avoué qu’ils avaient été envoyés en Jordanie par Abbsi pour entreprendre des actions terroristes.

Abbsi a choisi le camp de réfugiés de Nahr al-Bared dans le Nord du Liban, près de la ville de Tripoli, pour installer une base et fonder son Fatah al-Islam. Ce nouveau groupe, prétendait-il, prendrait al-Qaïda comme modèle et serait inspiré par ben Laden. Son objectif déclaré était d’établir la loi islamique au Liban et, ensuite, de détruire les Etats-Unis et Israël.

S’adressant au New York Times, peu avant que sa bataille avec l’armée libanaise ne commence, Abbsi a déclaré, « Le seul moyen de parvenir à nos droits est par la force. C’est la façon dont l’Amérique s’occupe de nous. Alors, lorsque les Américains sentiront que leurs vies et leur économie seront menacées, ils sauront qu’ils devront partir. »

Naturellement, l’équipe anti-syrienne au Liban enterre toute l’histoire comme étant une désinformation. Ils ont prétendu depuis le premier jour que le Fatah al-Islam avait été créé par les Syriens. C’est difficile à croire, puisque son passé de détenu à Damas – en plus du passé syrien de combat contre le fondamentalisme islamique – empêcherait certainement la Syrie de s’engager dans un programme aussi risqué avec un terroriste aussi notoire. De plus, l’attentat suicide du 27 septembre ajoute une preuve, s’il en fallait, que le Fatah al-Islam n’est certainement pas allié à Damas. Au contraire, il a juré de détruire la Syrie.

Ceux qui doutent de toute cette histoire continueront de douter, soutenant que l’émission diffusée à la télévision syrienne était prescrite par les Syriens. Cela aussi est difficile à croire. Ces terroristes ont été vus par des millions de personnes de part le monde et en Syrie. Ils ont livré de vrais noms et sont apparus clairement à l’écran. Si les Syriens leur avaient demandés d’organiser toute cette opération, comment pourraient-ils continuer de mener leurs vie ordinaires et ne pas être repérés pour tromperie ?

Et si ceux-ci étaient bien les terroristes, disant ces choses pour faire plaisir aux Syriens, pourquoi l’auraient-ils fait ? Après tout, ils sont dans des prisons syriennes et ils risquent la peine de mort pour avoir commis des attentats terroristes contre les citoyens syriens et leur gouvernement. La dernière chose qu’ils voudraient faire, alors qu’ils risquent le gibet, est de plaire aux autorités syriennes. La vérité est que ces personnes – le Fatah al-Islam en Syrie – étaient réelles et elles sont des preuves vivantes que la Syrie est devenue ô combien vulnérable aux fondamentalistes et aux terroristes.

Ce sont les véritables loups à la porte de Damas et lorsqu’ils se trouvent aux portes de la capitale – et qu’ils peuvent réaliser une attaque terroriste comme celle du 27 septembre – cela signifie qu’ils ont déjà infiltré des endroits plus vulnérables comme Beyrouth, Bagdad et Amman.

Sami Moubayed est rédacteur en chef de Forward Magazine à Damas.


copyright 2008 : Asia Times On Line / Traduction : JFG-QuestionsCritiques.

Notes :
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[1] La Réorientation, par Seymour Hersh (New Yorker, 26 février 2007)

[2] Tripoli : De nombreux morts dans la bataille la plus sanglante depuis la guerre civile entre l'armée libanaise et les Islamistes, par Robert Fisk ( The Independent, 21 mai 2007)
La route de Jérusalem (en passant par le Liban), par Robert Fisk (The Independent, 23 mai 2007)

[3] Qui se trouve derrière les combats au Nord-Liban ?, par Franklin Lamb (CounerPunch, 24 mai 2007)
Elliott Abrams chase les monstres au Proche-Orient, par Tom Barry (International Relation Center, 23 aoêt 2006)

[4] Les Saoudiens et les Américains en lutte contre le défi iranien, par M.K. Bhadrakumar (Asia Times Online, 18 mai 2008)