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Comment la Syrie a aidé à obtenir la libération de Johnston

par Sami Moubayed

6 juillet 2007, Asia Times Online
article original : "How Syria helped win Johnston's release"

DAMAS - Le monde s'est réjoui à la libération d'Alan Johnston, le journaliste de la BBC, détenu à Gaza par les milices islamistes pendant près de quatre mois. Le Hamas, récemment éjecté du gouvernement par Mahmoud Abbas, le Président de l'Autorité Palestinienne, s'en est attribué le mérite.

Johnston a été emmené directement de captivité à la rencontre de l'ancien Premier ministre Hamas, Ismail Haniyeh. Les photos des deux hommes se serrant la main ont fait la une des journaux et, le Hamas, qui contrôle désormais Gaza après le conflit armé contre le mouvement Fatah d'Abbas, s'est servi de l'occasion pour améliorer son image dans le monde arabe et en Occident. Cependant, quelqu'un d'autre a pris fait et cause pour la libération de Johnston : le Président syrien Bashar al-Assad.

Les Britanniques ont repris langue avec les Syriens en octobre dernier, lorsque l'envoyé spécial de Tony Blair [l'ancien Premier ministre britannique], Nigel Sheinwald, a rencontré Assad à Damas. Sheinwald s'est rendu en Syrie après avoir rencontré la Secrétaire d'Etat US, Condoleeza Rice. Il a présenté aux Syriens divers problèmes au Proche-Orient, pour lesquels la Grande-Bretagne aimerait que la Syrie apporte son aide. La Syrie s'est immédiatement exécutée. L'un de ces problèmes concernait le soutien [syrien] au gouvernement du Premier ministre irakien, Nuri al-Maliki.

La Syrie a envoyé son ministre des affaires étrangères à Bagdad, y a ouvert une ambassade et a reçu le Président Djabal Talabani à Damas, légitimant ainsi le régime de Malaki. En mai dernier, le ministre syrien des affaires étrangères, Walid al-Moualem, a rencontré son homologue britannique, Margaret Beckett, à Bruxelles. Celle-ci a spécialement exigé que la Syrie utilise sa forte influence en Palestine pour aider à obtenir la libération de Johnston. Après tout, la Syrie est très liée au Hamas qui, à son tour, est lié à l'Armée Islamique qui a kidnappé Johnston.

Le mois dernier, s'exprimant depuis Damas, le chef [politique] du Hamas, Khaled Meshal, a déclaré aux journalistes que son parti ferait tout son possible pour obtenir la libération de Johnston. Toutefois, Meshal ne fit pas de promesses, se contentant de dire qu'il essayerait de faire de son mieux. Moins d'un mois plus tard, le 5 juillet, après trois jours de discussions intensives entre le Hamas et ses ravisseurs, Johnston fut libéré et remis à Ahmed al-Djaabari, le vice-commandant de la Brigade Qassam, la branche armée du Hamas.

Impliqué dans les pourparlers, il y avait aussi Kemal Neirab (Abou Awad), le commandant en chef des Comités de Résistance Populaire et membre du Hamas. Le Cheikh Sulaiman al-Dayeh, un ecclésiastique salafiste de premier plan à Gaza, a été consulté pour donner son avis final sur la question et a soutenu l'argument du Hamas, selon lequel Johnston devrait être immédiatement libéré.

Prononcée à Damas, la déclaration de Meshal a été très importante, puisqu'elle a montré le sérieux des syriens pour résoudre le cas de Johnston. Il est clair que les Syriens ont été très impliqués dans ces négociations. Tard dans la soirée du 3 juillet, Meshal a téléphoné à Walid al-Moualem pour lui dire que les pourparlers sur la libération de Johnston "portaient" leurs fruits. A son tour, le ministre syrien a contacté le chargé d'affaires britannique à Damas, Ruddy Drummond (l'ambassadeur John Jenkins était en vacances), à 1 heure du matin, pour relayer le message de Meshal.

Les négociations ont duré jusqu'à 3 heures du matin et ont conduit finalement à la libération, le 5 juillet. Toute cette histoire a été publiée dans le quotidien londonien al-Hayat par le journaliste syrien Ibrahim Hamidi, qui est l'un des rédacteurs les mieux informés sur les affaires syriennes et qui a accès à Meshal. Hamidi a interviewé Meshal, qui a expliqué la position du Hamas. Voici ce qu'il lui a déclaré : "Depuis le début, le mouvement [Hamas] a considéré sa libération [de Johnston] comme un devoir moral et national." A la question de savoir si le Hamas s'attendait à une récompense de la part des Britanniques, il a répondu : "Ce que nous avons fait était un devoir [destiné] à corriger l'erreur du kidnapping d'un journaliste respectable." Il a ajouté que cet épisode portait deux messages.

L'un des messages était que pour les Palestiniens eux-mêmes, "personne n'est au-dessus de la loi". Ce message semblait être fait en direction de l'Armée Islamique, qui opère des milices à Gaza et défie souvent l'autorité du Hamas lui-même. Plusieurs jours avant la libération de Johnston, le Hamas avait kidnappé Khattab al-Makdisi, le bras droit du commandant de l'Armée Islamique, Moumtaz Digmosh, pour négocier son échange, avec 16 autres membres de sa milice, contre 21 prisonniers du Hamas.

Le second message était que les Européens devraient réexaminer leur politique vis-à-vis du Hamas. Al-Hayat a cité Mohammed Nasser (Abou Omar), un membre du bureau politique du Hamas, disant qu'une rencontre à haut niveau entre le Hamas et les Britanniques avait eu lieu à Damas la semaine dernière. David Craig, le consul à Jérusalem, qui était venu en secret rencontrer Meshal à Damas, représentait le côté britannique. Des sources britanniques ont confirmé cette rencontre en disant : "l'objectif était de chercher l'assistance de Meshal pour des buts humanitaires", ajoutant que la condition était qu'aucune rançon, tant en attribution politique qu'en cash, ne soit payée à Dignosh, le chef de l'Armée Islamique.

C'est la première rencontre à ce niveau, entre le Hamas et les Britanniques, depuis mai 2005. A cette époque, Meshal était passé sur la chaîne al-Jazeera et avait reconnu que le Hamas, début 2004, s'était bien assis autour de la table avec les responsables étasuniens pour négocier une trêve. Les Américains avaient essayé d'obtenir du Hamas qu'il désarme et ce n'est seulement que lorsque le Hamas refusa que les Etats-Unis donnèrent à Israël le feu-vert pour assassiner le fondateur du Hamas, [Cheik] Ahmed Yacine, en mars, et son successeur, Abd al-Aziz al-Rantisi, en avril 2004. Le secrétaire britannique aux affaires étrangères, Jack Straw, a admis aussi que des diplomates britanniques avaient rencontré le Hamas.

Ce n'est pas la première fois que la Syrie use de son influence dans la région pour obtenir la libération d'otages occidentaux au Proche-Orient. Elle l'a fait à de si nombreuses reprises durant la guerre civile libanaise ! L'exemple de plus célèbre remonte à 1983, lorsque la Syrie aida à faire libérer le Lieutenant de la Navy, Robert Goodman Jr, qui avait été touché par une balle, au-dessus du Liban, et capturé, alors qu'il était en mission pour bombarder les positions syriennes dans ce pays déchiré par la guerre.

L'ancien candidat à la présidence des Etats-Unis, Jesse Jackson, avait rencontré le Président Assad et obtenu la libération de Goodman. Le 4 janvier 1984, Goodman et Jackson furent reçus tous les deux à la Maison Blanche par le Président Ronald Reagan et la Syrie fut remerciée pour ses efforts. Plus récemment, la Syrie s'est servie de son influence sur l'Iran pour obtenir la libération de 15 marins britanniques, capturés dans les eaux iraniennes en mai dernier. Cela eut lieu après que l'envoyé spécial de Tony Blair, Nigel Shainwald, ne contacte le Président Assad pour obtenir le soutien de la Syrie et sa médiation avec le Président iranien Mahmoud Ahmadinejad.

C'est un fait que la Syrie le fait depuis longtemps, bien avant que ses relations avec les Etats-Unis ne se détériorent, en 2003, après la Guerre du Golfe. L'Occident sait cela, mais, à cause des récentes pressions des Etats-Unis, il refuse de le reconnaître en public. A savoir : que la Syrie peut jouer un rôle très positif au Proche-Orient, comme source de stabilité plutôt que d'instabilité. En de nombreuses occasions, Assad a déclaré que les Etats-Unis et l'Europe auront besoin de l'aide de la Syrie et viendra frapper à sa porte. Les raisons sont simples.

La Syrie, le seul pays qui a refusé de se plier aux pressions des Etats-Unis et de signer un accord de paix défectueux avec Israël, a la crédibilité de la rue arabe. Des groupes radicaux comme le Hamas et le Hezbollah font confiance à la Syrie et l'écoutent. Cela ne s'applique pas à des pays comme la Jordanie et l'Egypte, qui peuvent jouer un rôle de médiateur dans certaines crises, mais qui ne disposent pas de la crédibilité dont jouissent les Syriens. La Syrie adore jouer les pompiers, en particulier dans les affaires palestiniennes. Le faire lui procure un levier sur les affaires arabes et prouve qu'elle est toujours une puissance de négociation en Palestine.

Ce statut s'est réduit lorsque l'ancien président Yasser Arafat était dans les parages et essaya de rogner les ailes à la Syrie dans la politique palestinienne - en vain, à cause de son alliance forte avec le Hamas.

Deuxièmement, la Syrie se sert de cette diplomatie pour faire la promotion de son image, comme source de stabilité, dans le monde occidental. Les Syriens ont adoré la façon dont Nancy Pelosi, la Présidente de la Chambre des Députés des Etats-Unis, a décrit la Syrie durant sa visite en Syrie, en avril 2007, déclarant : "la route de Damas est la route vers la paix".

Les Syriens veulent être vus comme faisant partie de ceux qui trouvent des solutions plutôt que de ceux qui cherchent les problèmes. Ils veulent montrer au monde - surtout aux Etats-Unis - qu'ils peuvent apporter beaucoup en Irak et au Liban, exactement comme ils l'ont fait en Palestine.

L'ancien secrétaire d'Etat américain, Warren Christopher, a écrit dans le Washington Post, relatant sa rencontre avec la Syrie dans les années 90 et comment ce pays a influencé les dirigeants du Hezbollah, en 1993 et en 1996, à mettre fin aux conflits avec Israël. Voici ce qu'il a écrit : "Nous n'avons jamais su exactement ce qu'avaient fait les Syriens, mais le Hezbollah a clairement répondu dans leur direction". Peut-être ne savons-nous pas comment les Syriens s'y sont pris avec le Hamas, mais il est clair que le Hamas - et l'Armée Islamique - ont répondu dans leur direction. Sami Moubayed est un analyste politique syrien.

(Copyright 2007 AsiaTimesOnline — Traduction : JFG/QuestionsCritiques. All rights reserved.)

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* L'ascension du Hamas, par Stephen Zunes
* Khaled Meshal : L'Occident ne nous comprend pas
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* La "réorientation", par Seymour Hersh