guerre civile
Ces dernières semaines, la teneur des reportages en provenance de Syrie a spectaculairement changé. Là où un mois auparavant le gouvernement [syrien] semblait perdre les batailles sur tous les fronts, il semble que la guerre civile soit maintenant entrée dans une nouvelle phase - celle d'un nivellement vers le bas où la victoire dépend plus de l'endurance que de la force.
Le régime et les rebelles sont confrontés à des défis majeurs qui menacent sérieusement leur capacité à fonctionner, et cela explique en partie les pronostics très divergents des différents analystes. En attendant, tandis que l'hiver s'installe et que le nombre de morts grimpe (le dernier rapport des Nations Unies l'établit à 60.000), les civils payent le prix fort.
De nombreux observateurs continuent d'insister sur le fait que le régime du président syrien Bachar al-Assad n'en a plus pour très longtemps. Jeffrey White, du Washington Institute for Near East Policy [think-tank néoconservateur], a prédit récemment que celui-ci « semble n'en avoir que pour quelques semaines avant de s'effondrer ».[1] D'autres fixent la date de sa disparition dans plusieurs mois, faisant remarquer, entre autres choses, les graves problèmes financiers qu'il rencontre.
« L'économie est la base de tout », a dit au Time Magazine un économiste syrien en exil, estimant qu'Assad se retrouverait à court d'argent d'ici trois à six mois (le Roi Abdallâh II de Jordanie avait fait une estimation similaire auparavant). « Sans services, sans soldats et sans argent vous ne pouvez rien faire. Si le gouvernement ne peut pas financer l'armée, ils [les soldats] déserteront, tout simplement ».[2]
Ces derniers mois, les rebelles ont progressé de façon significative, prenant le contrôle, selon divers rapports, entre 40% et 75% du territoire du pays. Ils ont même capturé quelques-uns des faubourgs qui entourent la capitale, Damas, et à plusieurs occasions, ils sont parvenus à de fermer les principaux aéroports internationaux du pays.
La faiblesse du régime n'est pas une illusion, mais tout cela ne résume que la moitié de l'histoire. Assad est peut-être sur le point de manquer d'argent, mais c'est déjà le cas de la plupart des rebelles - qui sont dans cette situation depuis des mois. Pas facile dans de telles conditions d'administrer la moitié de la Syrie - une chose qui coûte à elle seule, selon le même article du Time, environ 500 millions de dollars par mois. En outre, ce n'est pas le pire problème auquel les rebelles sont confrontés.
Une quantité de rapports indiquent que les forces gouvernementales ont abandonné des territoires à dessein, sans montrer beaucoup de résistance. Elles ne l'auraient fait que pour raccourcir leurs lignes de communication et réduire certaines dépenses - mais également pour laisser la population goûter à une version cauchemardesque de la liberté qui pourrait vraisemblablement conduire beaucoup de gens à choisir la domination d'Assad comme moindre mal. Avec des millions de sans abri en plein hiver, la plupart dans les zones tenues par les rebelles, manquant de nourriture, d'eau courante et d'huile de cuisson, un tel scénario est globalement plausible.
Ce qui est même encore plus important est que des reportages indiquent que les rebelles pourraient eux-même contribuer activement à un tel résultat. Les conflits internes, les pillages et les enlèvements au hasard sont devenus monnaie courante dans beaucoup d'endroits. Alep, une riche cité de marchands où les insurgés des campagnes pauvres sont arrivés en masse, est peut-être un exemple extrême, mais elle n'est pas la seule, loin s'en faut. Deux reportages récents du reporter du Guardian, Ghaith Abdul-Ahad, fournissent des détails assez crus.
Dans un article daté du 28 décembre, ce journaliste a dépeint un chef rebelle brutal, Abou Ali, qui, selon ses propres termes, se retrouve désormais face « à deux ennemis : les bataillons [rebelles rivaux] et le gouvernement ». Abdul-Ahad a décrit comment plusieurs civils, dont les maisons avait été placées sous le contrôle d'Abou Ali, ont tenté de sauver certaines de leurs possessions, et le traitement qui leur a été réservé : « Toutes les maisons, sans exception, ont été pillées », s'écrit Abou Ali. « Et l'armée [gouvernementale] n'a jamais été dans cette zone. C'est nous qui les avons pillés ! »[3]
Dans un autre article daté du 27 décembre, Abdul-Ahad a décrit de façon plus générale comment les niveaux sans précédent de pagaille et de conflits internes - qu'il considère comme une nouvelle phase toute récente de la guerre - avaient stoppé la progression des rebelles dans Alep. « Le problème c'est nous », s'est exclamé un jeune combattant au cours d'une réunion. « Nous avons des bataillons installés dans des zones libérées qui tiennent des barrages et détiennent des gens [.] Ils sont devenus pires que le régime ».[4]
Les rebelles sont confrontés à un défi supplémentaire que l'ancien Conseiller Spécial américain pour la Syrie, Frederic Hof, a appelé « la pilule empoisonnée du sectarisme ». Voici ce que dit Hof :En mettant en avant les auxiliaires chabiha et en les lâchant (essentiellement de jeunes Alaouites pauvres complétés par des militaires d'active), le régime de Bachar al-Assad a injecté la pilule empoisonnée dans le sang national. [.] Après tout, Assad et sa clique sont pressés de dire aux minorités (en particulier les Alaouites et les Chrétiens) que seul le régime actuel s'interpose entre eux et un successeur arabe sunnite qui pourrait choisir une option allant de la domination sectaire explicite à l'application de la loi islamique pour expulser et massacrer. L'empressement avec lequel des éléments particulièrement visibles de l'opposition ont utilisé l'appât sectaire du régime suggère deux possibilités : soit la lente évolution de 65 années vers la citoyenneté syrienne et l'unité nationale ont été complètement illusoires, soit les dirigeants révolutionnaires de la Syrie ne se sont pas donnés la peine de s'immuniser, eux et leurs partisans, contre la mise en œuvre inévitable par le régime d'une stratégie sectaire grossièrement provocatrice.[5]
Non seulement l'opposition a échoué à casser l'unité des Alaouites et des autres minorités qui soutiennent le régime, mais il semble que malgré la nature sectaire de la guerre et de ses tactiques sauvages, Assad ait efficacement empêché l'unification complète des Sunnites contre lui. Selon différents rapports, jusqu'à un tiers de la population sunnite, surtout dans les grandes villes, le soutient toujours. Si leur nombre et leur motivation précise est très difficile à déterminer, un rebelle syrien qui s'est récemment entretenu avec l'Asia Times Online a confirmé qu'il se battait fréquemment avec ses compagnons d'arme contre d'autres Sunnites. Ces observations ont incité l'éminent expert sur la Syrie à l'université d'Oklahoma, Joshua Landis, à prédire qu'en « l'absence d'une augmentation radicale de l'intervention internationale, Assad pourrait être encore là en 2014 ». Il n'est pas le seul à le dire : l'envoyé de l'ONU, Lakhdar Brahimi, a également laissé entendre récemment que 2013 pourrait être extrêmement sanglante mais pas décisive.
Seul l'avenir dira qui a raison. Pour l'instant, il n'y a aucun signe de diminution de la violence - et des millions de Syriens ordinaires continuent à souffrir de façon inhumaine.Victor Kotsev est journaliste et analyste politique. Il est basé à Tel Aviv.
(Copyright 2013 Asia Times Online (Holdings) Ltd - traduction [JFG-QuestionsCritiques]. All rights reserved
Notes :
___________________
[1] Is the End Near in Damascus? [La fin est-elle proche à Damas ?], The Washington Institute for Near East Policy, 21 décembre 2012.
[2] Assad's Cash Problem: Will Syria's Dwindling Reserves Bring Down the Regime? [Les problèmes d'argent d'Assad : Les réserves déclinantes de la Syrie feront-elles tomber le régime ?], Time, 21 décembre 2012.
[3] 'The people of Aleppo needed someone to drag them into the revolution' [Les habitants d'Alep avaient besoin de quelqu'un pour les entraîner dans la révolution], The Guardian, 28 décembre 2012.
[4] La ruée sur les butins de guerre égare les rebelles syriens, The Guardian, 27 décembre 2012.
[5] Syria 2013: Will The Poison Pill of Sectarianism Work? [Syrie 2013 : la pilule empoisonnée du sectarisme agira-t-elle ?], Atlantic Council, 3 janvier 2013.
Cet article vous a intéressé ?
Merci de soutenir Questions Critiques...