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crise financière en Grèce

Wall Street a aidé la Grèce à dissimuler sa dette, alimentant ainsi la crise en Europe.

Par Louise Story, Landon Thomas Jr. et Nelson D. Schwartz
The New York Times, le 13 février 2010

article original : "Wall St. Helped Greece to Mask Debt Fueling Europe’s Crisis"

Les tactiques de Wall Street, semblables à celles qui ont encouragé les crédits hypothécaires à risque en Amérique, ont aggravé la crise financière, secouant la Grèce et ébranlant l’euro, en permettant à des gouvernements européens de dissimuler leurs dettes.

Alors que les inquiétudes sur la Grèce secouent les places financières mondiales, les données et les interviews montrent qu’avec l’aide de Wall Street, la nation [américaine] à pris part depuis dix ans à l’effort qui a permis d’esquiver les limites de la dette européenne. Un marché créé par Goldman Sachs a contribué à cacher des milliards [d’euros] de dette aux contrôleurs budgétaires de Bruxelles.


(Chris Ratcliffe/Bloomberg News)
Gary D. Cohn, président de Goldman Sachs, s’est rendu à Athènes
pour mettre au point des produits complexes afin de différer la dette.
De tels accords ont permis à la Grèce de poursuivre son déficit budgétaire,
à l’instar d’un consommateur qui prend une hypothèque de second rang.

Alors même que la crise approchait du point critique, les banques cherchaient des moyens pour aider la Grèce à empêcher l’arrivée de l’instant de vérité. Début novembre – trois mois avant qu’Athènes ne devienne l’épicentre des grandes inquiétudes financières mondiales – une équipe de Goldman Sachs, selon deux personnes auxquelles on a résumé cette réunion, est arrivée dans la ville antique avec une proposition très moderne pour un gouvernement ne parvenant plus à payer ses dettes.

Les banquiers, emmenés par le Président de Goldman, Gary D. Cohn, ont présenté un instrument financier qui aurait repoussé loin dans le futur la dette du système de protection médicale de la Grèce, un peu comme lorsque les propriétaires fauchés prennent des crédits hypothécaires secondaires pour rembourser leurs cartes de crédit. Cela a marché auparavant. En 2001, juste après que la Grèce fut admise dans l’union monétaire européenne, Goldman a aidé le gouvernement [grec] à emprunter discrètement des milliards. C’est ce qu’ont révélé des personnes proches de cette transaction. Ce marché, caché au public parce qu’il était traité comme un échange de devises plutôt qu’un prêt, a aidé Athènes à répondre aux règles de déficit imposées par l’Europe, tout en continuant de dépenser au-delà de ses moyens. Athènes n’a pas donné suite à la dernière proposition de Goldman Sachs, mais, avec la Grèce qui gémit sous le poids de ses dettes et avec ses voisins plus riches qui ont juré de lui venir en aide, les marchés qui ont été passés au cours de la décennie passée soulèvent des questions sur le rôle de Wall Street dans ce tout dernier drame financier mondial.

Comme dans la crise américaine des subprime et l’implosion d’American International Group [AIG], les dérivés financiers ont joué un rôle dans l’accumulation de la dette grecque. Les instruments développés par Goldman Sachs, JP Morgan et un large éventail d’autres banques ont permis aux hommes politiques de dissimuler des emprunts supplémentaires, en Grèce, en Italie et peut-être ailleurs.

Dans des douzaines d’accords conclu sur tout le continent [européen], les banques ont avancé des liquidités en échange de paiements futurs par ces gouvernements, avec ces passifs laissés en dehors des registres. La Grèce, par exemple, a vendu ses taxes aéroportuaires et les recettes de sa loterie pour les années à venir.

Les critiques disent que de tels accords, parce qu’ils ne sont pas enregistrés comme des emprunts, induisent en erreur les investisseurs et les régulateurs quant à la profondeur des dettes d’un pays.

Certains accords grecs prenaient le nom de personnages de la mythologie grecque. L’un d’eux, par exemple, s’appelait Aeolos, d’après le dieu du vent.

La crise en Grèce pose le plus grand défi, jusqu’à présent, à la monnaie commune européenne, l’euro, et à l’objectif d’unité économique de ce continent. Ce pays est, en jargon bancaire, trop gros pour faire faillite. La Grèce doit 300 milliards de dollars au monde et des grandes banques sont engagées pour une grande partie de cette dette. Un défaut de paiement aurait des conséquences dans le monde entier.

Un porte-parole du ministère des finances grec a déclaré que son gouvernement avait rencontré de nombreuses banques ces derniers mois et qu’il n’avait passé d’accord avec aucune d’entre elles. Tous les financements de la dette « sont conduit dans un effort de transparence », a-t-elle déclaré. Goldman et JP Morgan ont refusé de commenter.

Tandis que l’œuvre de Wall Street en Europe a reçu peu d’attention de ce côté-ci de l’Atlantique, elle a été sévèrement critiquée en Grèce et dans des magazines comme Der Spiegel en Allemagne.

« Les hommes politiques veulent refiler la patate chaude à leurs successeurs et si un banquier peut leur montrer comment renvoyer un problème dans le futur, ils tomberont dans le panneau », a dit Gikas A. Hardouvelis, un économiste et ancien responsable gouvernemental qui a aidé à rédiger un récent rapport sur la politique comptable de la Grèce.

Wall Street n’a pas créé le problème de la dette européenne. Mais les banquiers ont permis à la Grèce et à d’autres [pays] d’emprunter au-delà de leurs moyens, dans des accords qui étaient parfaitement légaux. Peu de règles décrètent comment les nations peuvent emprunter l’argent dont elles ont besoin pour leurs dépenses, telles que la défense et la protection médicale. Le marché de la dette souveraine – le terme de Wall Street pour les prêts accordés aux gouvernements – est aussi peu réglementé qu’il est vaste.

« Si un gouvernement veut tricher, il peut tricher », a dit Garry Schinasi, un vieux routier de l’unité de surveillance des marchés de capitaux du FMI, qui contrôle la vulnérabilité des marchés mondiaux de capitaux.

Les banques ont exploité avec avidité ce qui était, pour elles, une symbiose hautement lucrative avec les gouvernements qui dépensaient sans compter. Selon plusieurs banquiers bien au courant de cet accord, tandis que la Grèce n’a pas profité de l’offre de Goldman en novembre 2009, elle a payé environ 300 millions de dollars d’honoraires à cette banque pour arranger la transaction de 2001.

De tels dérivés, qui ne sont pas ouvertement documentés ou révélés, augmentent l’incertitude sur l’importance des problèmes de la Grèce et posent la question de savoir quels autres gouvernements ont pu user de registres comptables similaires hors bilan.

Cette vague de crainte balaye d’autres pays, à la périphérie de l’Europe, connaissant des problèmes économiques, rendant plus coûteux pour l’Italie, l’Espagne et le Portugal d’emprunter.

Pour tous les bénéfices d’unifier l’Europe avec une seule devise, la naissance de l’euro s’est produite sur un péché originel : des pays comme l’Italie et la Grèce sont entrés dans l’union monétaire avec des déficits plus élevés que ce qui était permis par le traité qui a créé cette devise [le traité de Maastricht]. Cependant, plutôt que d’augmenter les impôts ou de réduire les dépenses, ces gouvernements ont réduit artificiellement leurs déficits avec des dérivés.

Les dérivés ne sont pas forcément mauvais. La transaction de 2001 impliquait un type de dérivé connu sous le nom de swap [permutation]. Un tel instrument, appelé interest-rate swap [échange de taux d'intérêt], peut aider les sociétés et les pays à supporter la volatilité de leurs coûts d’emprunt en échangeant leurs remboursements à taux d’intérêt fixe pour des taux variables ou vice versa. Un autre type, le swap de devises, peut minimiser l’impact de taux de change volatiles.

Mais avec l’aide de JP Morgan, l’Italie a pu aller plus loin. Malgré des déficits élevés persistants, un dérivé a permis en 1996 au budget italien d’être en ligne, en échangeant des devises avec JP Morgan à un taux favorable, plaçant effectivement plus d’argent entre les mains du gouvernement. En échange, l’Italie s’est engagée à effectuer des versements futurs qui n’ont pas été enregistrés comme dette.

« Les dérivés sont des instruments très utiles », a déclaré Gustavo Piga, un professeur d’économie qui a rédigé un rapport pour le Council on Foreign Relations sur la transaction italienne. « Ils ne deviennent mauvais que lorsqu’ils servent à habiller les comptes. »

En Grèce, la prestidigitation financière est allée encore plus loin. Dans ce qui s’est résumé à une braderie à l’échelle nationale, les responsables grecs ont essentiellement hypothéqué les aéroports et les autoroutes du pays pour lever des fonds dont ils avaient un besoin criant.

Aeolos, une entité légale créée en 2001, a aidé la Grèce, cette année-là, à réduire la dette visible sur son bilan. Dans cet accord, la Grèce a obtenu des liquidités en échange d’une promesse sur les droits d’atterrissage dans les aéroports du pays. Un accord similaire en 2000, nommé Ariadne, a dévoré les revenus que le gouvernement avait collectés de sa loterie nationale. Toutefois, la Grèce a classé ces transactions en tant que vente, pas en tant qu’emprunts, malgré les doutes de nombreux critiques.

Ces sortes d’accords ont été controversées pendant des années au sein des cercles gouvernementaux. Si l’on remonte à 2000, les ministres des finances européens ont âprement débattu pour déterminer si les contrats de dérivés utilisés pour une comptabilité créative devaient être rendus publics.

La réponse fut négative. Mais en 2002, révéler ce type de comptabilité a été requis pour de nombreuses entités, telles que Aeolos et Ariadne, qui n’apparaissaient pas sur le bilan de la nation, obligeant les gouvernements à reclasser de tels contrats en tant qu’emprunts plutôt que ventes.

Pourtant, aussi récemment qu’en 2008, Eurostat, l’agence de statistiques de l’Union Européenne, a rapporté que « dans une quantité de cas, les opérations de titrisation observées semblent avoir été conçues pour réaliser un résultat comptable donné, sans tenir compte du mérite économique de l’opération. »

Tandis que de tels gadgets comptables peuvent être bénéficiaires à court terme, au fil du temps, ils peuvent s’avérer désastreux.

George Alogoskoufis, qui est devenu ministre des finances à l’occasion d’un remplacement de majorité après l’accord Goldman, a critiqué cette transaction au parlement en 2005. Cet accord, soutenait M. Alogoskoufis, ferait supporter au gouvernement, jusqu’en 2019, de gros versements au profit de Goldman.

M. Alogoskoufis, qui s’est retiré il y a un an, a envoyé un message par courriel la semaine dernière disant que Goldman avait par la suite accepté de reconfigurer cet accord « pour restaurer sa bonne volonté vis-à-vis de la république ». Il a dit que le nouveau concept était meilleur que le précédent pour la Grèce.

En 2005, selon deux personnes bien au courant de cette transaction, Goldman a vendu le swap sur taux d’intérêt à la Banque Nationale de Grèce, la plus grosse banque du pays.

En 2008, Goldman a aidé cette banque a placer ce swap dans une entité légale appelée Titlos. Mais, selon Dealogic, une société de recherche financière, la banque a conservé les obligations émises par Titlos, pour les utiliser comme nantissement afin d’emprunter encore plus d’argent auprès de la Banque Centrale Européenne.

Edward Manchester, vice-président senior dans l’agence de notation Moody’s, a dit que cet accord serait au bout du compte une affaire déficitaire pour la Grèce, à cause de ses obligations de paiements à long-terme.

Au sujet du swap de Titlos avec le gouvernement grec, il a dit : « Ce swap sera toujours non-rentable pour le gouvernement grec. »

Traduction [JFG-QuestionsCritiques]

LIRE EGALEMENT :
- Une nouvelle phase, pas seulement une autre récession, CounterPunch, le 16 février 2010
- Les velociraptors économiques, par Andrew Cockburn, CounterPunch, 13 février 2010.


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