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Le Premier ministre turc est accueilli sous les vivats
après son affrontement dans le débat sur Israël

Par Robert Tait
The Guardian, le 31 janvier 2009

article original : "Turkish PM greeted by cheers after Israel debate clash"

Recep Tayyip Erdogan s’est querellé avec le président Israélien
à propos de l’offensive sur Gaza et a claqué la porte


Le Premier ministre turc en colère affronte le président israélien Shimon Peres,
au sujet de l’offensive « très critiquable » contre le territoire palestinien
(Voir le décryptage de la vidéo en fin d'article)

Le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, est rentré dans son pays après avoir claqué la porte à Davos lors d’un débat sur la récente offensive israélienne à Gaza.

Des heures après s’être affronté avec le président israélien, Shimon Peres, dans une scène de colère au forum économique mondial normalement feutré, il a été accueilli à l’aéroport d’Istanbul sous les vivats de milliers de supporters agitant des drapeaux turcs et palestiniens et scandant « La Turquie est fière de vous ». Des sympathisants ont aussi déposé des bouquets de fleurs à sa résidence officielle.

Le débordement de soutien témoigne du capital politique intérieur qu’Ergogan a gagné à la suite de sa performance dans la station suisse, où il a dit à Peres : « Lorsqu’il s’agit de tuer, vous savez très bien comment tuer. » Il a ensuite quitté l’estrade en déclarant qu’il ne reviendrait jamais à Davos et après avoir accusé l’animateur du débat, le chroniqueur du Washington Post, David Ignatius, de ne pas l’avoir laissé parlé.

Erdogan a accusé Peres d’élever la voix et il a affirmé que le chef de l’Etat israélien avait eu plus de temps de parole que lui-même et les deux autres participants à cette discussion, le secrétaire général des Nations-Unies, Ban ki-Moon, et le secrétaire général de la Ligue Arabe, Amr Mouusa.

Peres avait auparavant défendu avec passion les actions israéliennes à Gaza, demandant à Erdogan : « Que feriez-vous si chaque nuit à Istanbul vous aviez des centaines de tirs roquettes ? » Erdogan a répondu en disant : « Président Peres, vous êtes plus vieux que moi et votre voix est très forte. La raison pour laquelle vous élevez la voix est le sentiment de culpabilité… Je sais très bien comment vous frappez et vous tuez les enfants sur les plages. »

La femme du Premier ministre [turc], Emine – qui a organisé en janvier un déjeuner des « Femmes pour la Paix en Palestine » pour les femmes des dignitaires islamiques – s’est également impliquée, fondant en larmes et déclarant aux journalistes que « tout ce qu’avait dit Peres est un mensonge ».

La colère d’Erdogan a été la plus médiatisée de ses attaques sans détour contre les opérations d’Israël à Gaza. Il avait déclaré auparavant que cette offensive – dans laquelle plus de 1.300 Palestiniens sont morts – était un « crime contre l’humanité » et il avait exigé l’expulsion d’Israël de l’ONU.

Sa position a choqué de nombreux officiels israéliens – habitués à considérer la Turquie comme leur plus proche allié régional –, mais il a repris les sentiments pro-palestiniens du public turc à majorité écrasante musulmane. Des manifestions de masse en faveur du Hamas ont été organisées à Istanbul et dans d’autres villes.

De telles sympathies ont donné lieu à des suggestions que la rhétorique d’Erdogan était principalement destinée à la politique intérieure turque et que son objectif était de séduire les électeurs en vus des prochaines élections municipales, qui auront lieu en mars prochain. Des groupes juifs ont également exprimé des craintes que la critique anti-israélienne féroce du gouvernement [turc] n’alimente l’antisémitisme. La querelle avec Peres a éclipsé la dispute entre le gouvernement [turc] et le Fonds Monétaire International, dans laquelle Erdogan a suspendu les négociations après avoir accusé le FMI d’assortir de conditions inacceptables une proposition de prêt, afin d’aider la Turquie à surmonter la récession économique.

A son arrivée à l’aéroport Atatürk, il a dépeint sa sortie de Davos en termes nationalistes, déclarant aux journalistes : « C’était une question d’estime et de prestige de mon pays. Je n’aurais pu permettre à quiconque de corrompre le prestige et en particulier l’honneur de mon pays. »

Il a également réfuté que ses commentaires étaient destinés au peuple israélien ou aux Juifs en général. Un porte-parole du forum économique mondial a dit que Peres avait parlé à Erdogan au téléphone après le débat et exprimé ses respects pour la Turquie.

Toutefois, certains observateurs pensent qu’Erdogan a sacrifié la politique étrangère de la Turquie, en particulier son rôle autoproclamé an tant qu’arbitre régional. Avant les hostilités de Gaza, la Turquie avait arbitré des négociations entre Israël et la Syrie. Il y a également des craintes que le lobby pro-israélien aux Etats-Unis soutiennent des manœuvres pour reconnaître comme génocide les massacres d’Arméniens par les forces ottomanes durant la première guerre mondiale – une mesure à laquelle la Turquie s’oppose avec véhémence.

Traduction : JFG/QuestionsCritiques

Décryptage de la vidéo :

Erdogan : « Président Peres, vous êtes plus âgé que moi et votre voix est très forte. Je sens que vous vous sentez peut-être un peu coupable et que c’est la raison pour laquelle vos mots ont été aussi fermes et prononcés aussi forts.

« Bon ! Vous avez tué des gens. Je me souviens des enfants qui sont morts sur les plages. Je me souviens de deux anciens Premiers ministres dans votre pays qui ont dit qu’ils étaient très contents lorsqu’ils avaient pu entrer en Palestine sur des chars.

« Maintenant, ce sont des anciens Premiers ministres qui ont dit qu’ils avaient été très satisfaits d’eux-mêmes quand ils sont entrés dans les territoires palestiniens sur des chars.

« Je trouve très triste que des gens applaudissent ce que vous avez dit, parce que beaucoup de gens ont été tués. Et je pense qu’il est très mal et que ce n’est pas humanitaire d’applaudir des actions qui ont ce genre de résultat.

« J’ai pris beaucoup de notes [sur ce que vous avez dit], mais malheureusement il n’y a pas assez de temps pour répondre à toutes. Je parlerai de deux points. »

Animateur : « Monsieur, vous ne pouvez pas recommencer le débat ! »

Erdogan : « Excusez-moi … »

Animateur : « Nous n’avons tout simplement pas le temps. »

Erdogan : « S’il vous plaît, laissez-moi parler ! »

Animateur : « Nous devons vraiment emmener les gens dîner ! »

Erdogan : « Le Sixième Commandement : Tu ne tueras point ! Mais nous parlons de tueries.

« Mon deuxième point est particulièrement intéressant. Gilad al Zamouni déclare que la barbarie israélienne est au-delà de l’entendement. Ensuite, il y a le professeur de relations internationales de l’Université d’Oxford qui a déclaré : … »

Animateur : « Monsieur le Premier Ministre, je vous ai demandé … »

Erdogan : « Merci beaucoup, je pense que je ne reviendrai donc pas à Davos après cela… Vous ne me laissez pas parler. Le président (israélien) a parlé pendant 25 minutes, j’ai parlé pendant la moitié… »


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