> archives > économie



opinion

Pourquoi l'euro ne vaut pas la peine d'être sauvé

par Mark Weisbrot
The Guardian, le 14 juillet 2011

article original : "Why the euro is not worth saving"

Cette crise a exposé le fait que - contrairement à l'UE elle-même -
l'union monétaire européenne a toujours été un projet de droite



Jean-Claude Trichet, le président of la Banque Centrale Européenne, répond aux questions
des journalistes, lors de sa conférence de presse mensuelle au siège de la BCE à Frankfort.
La BCE est seulement mandatée pour contrôler l'inflation, pas le chômage.
(Photo: Kai Pfaffenbach/Reuters)

L'euro s'effondre à des plus bas contre le franc suisse et les taux d'intérêt frappant les obligations italiennes et espagnoles sont au plus haut. Ce dernier épisode de la crise de la zone euro est le résultat des craintes que la contagion ne frappe maintenant l'Italie. Avec un PIB de 1.400 milliards d'euros et une dette de 1.700 milliards d'euros, l'Italie est trop grosse pour faire faillite et les autorités européennes sont inquiètes.

Bien qu'il y ait actuellement peu de fondements à cette inquiétude - que les taux d'intérêt de l'Italie montent suffisamment haut pour mettre en danger sa solvabilité -, les marchés financiers agissent de façon irrationnelle et font monter à la fois la peur et les perspectives d'une prédiction qui s'accompli d'elle-même. Le fait que les autorités européennes ne puissent même pas se mettre d'accord sur la manière de s'occuper de la dette de la Grèce - une économie inférieure au sixième de l'économie italienne - n'inspire pas confiance dans leur capacité à gérer une plus grosse crise.

Les économies plus faibles de la zone euro - la Grèce, le Portugal, l'Irlande et l'Espagne - sont déjà confrontées à des perspectives de punition économique pendant des années, comprenant des niveaux extrêmement élevés de chômage (respectivement, 16%, 12%, 14% et 21%). Puisque l'objet de toute cette misère auto-infligée est de sauver l'euro, il est intéressant de se demander si l'euro vaut la peine d'être sauvé. Et il faut se poser cette question du point de vue de la majorité des Européens qui travaillent pour gagner leur vie - c'est à dire, d'un point de vue progressiste.

Il est souvent soutenu que l'union monétaire, qui comprend désormais 17 pays, doit être maintenue dans l'intérêt du projet européen. Celui-ci comprend des idéaux aussi valables que la solidarité européenne, la construction de normes communes pour les droits de l'homme et l'inclusion sociale, le maintien du nationalisme de droite sous surveillance et, bien sûr, l'intégration économique et politique qui sous-tend un tel progrès.

Mais cela ne distingue pas l'union monétaire, ou la zone euro, de l'Union Européenne elle-même. Le Danemark, la Suède et le Royaume-Uni, par exemple, font partie de l'Union Européenne, mais pas de l'union monétaire. Il n'y a aucune raison que le projet européen ne puisse se poursuivre, que l'UE prospère, sans l'euro.

Et il y a de bonnes raisons d'espérer que cela pourra arriver. Le problème est que l'union monétaire, contrairement à l'UE elle-même, est sans ambiguïté un projet de droite. Si cela n'a pas été clair au début, ça devrait être douloureusement clair à présent, alors que les économies les plus faibles de la zone euro sont soumises à une punition qui était auparavant réservée aux pays à faible ou moyen revenus pris dans les griffes du Fonds Monétaire International (FMI) et de ses gouverneurs du G7. Au lieu d'essayer de sortir de la récession au moyen d'une stimulation fiscale et/ou monétaire, comme la plupart des gouvernements l'ont fait en 2009, les gouvernements [de la zone euro] sont obligés de faire l'opposé, à un coût social énorme.

Pour comble d'insultes, les privatisations en Grèce ou la « réforme du marché du travail » en Espagne, les effets régressifs des mesures prises sur la redistribution des revenus et de la richesse, ainsi que le rétrécissement et l'affaiblissement de la protection sociale, tandis que les banques sont subventionnées aux dépens des contribuables, mettent en évidence le programme clairement de droite des autorités européennes et leur tentative de tirer avantage de cette crise pour instituer des changements politiques de droite.

La nature de droite de l'union monétaire a été institutionnalisée dès le début. Les règles limitant la dette publique à 60% du PIB et les déficits budgétaires annuels à 3% du PIB, alors qu'elles sont violées dans la pratique, sont inutilement restrictives en période de récession et de chômage élevé. Le mandat de la Banque Centrale Européenne de ne s'occuper que de l'inflation et pas du tout de l'emploi, est un autre indicateur déplorable. La Réserve Fédérale des Etats-Unis [Fed], par exemple, est une institution conservatrice, mais elle la loi l'oblige au moins à se préoccuper à la fois de l'emploi et de l'inflation.

Et la Fed - pour toute son incompétence en n'ayant pas vu venir une bulle de l'immobilier de 8.000 milliards de dollars qui a fait s'effondrer l'économie américaine - s'est avérée être flexible face à la récession et à une faible reprise, créant plus de 2.000 milliards de dollars dans le cadre d'une politique monétaire expansionniste. En comparaison, les extrémistes qui dirigent la Banque Centrale Européenne ont augmenté les taux d'intérêts depuis le mois d'avril, malgré le niveau de chômage élevé dans les économies plus faibles de la zone euro.

Certains économistes et certains observateurs politiques soutiennent que la zone euro a besoin d'une union fiscale, avec une plus grande coordination des politiques budgétaires, pour qu'elle puisse fonctionner. Mais, comme nous en sommes témoins, la politique fiscale de droite est contre-productive, même si elle était mieux coordonnée. D'autres économistes - dont moi-même - ont soutenu que les grandes différences de productivité entre les économies membres présentent de sérieuses difficultés pour une union monétaire. Mais même si ces problèmes pouvaient être surmontés, la zone euro ne vaudrait pas la peine de cet effort si elle est un projet de droite.

L'intégration économique européenne avant la zone euro était d'une nature différente. Contrairement à l'approche qui « tire-vers-le-bas » de l'ALENA (l'accord de libre-échange nord-américain) - qui a chassé des centaines de milliers de fermiers mexicains tout en contribuant à réduire les salaires et l'emploi manufacturier aux Etats-Unis et au Canada - l'Union Européenne a fait quelques efforts pour tirer les économies les plus faibles vers le haut et protéger les plus vulnérables. Mais les autorités européennes se sont révélées impitoyables dans leur union monétaire.

L'idée que l'euro doit être sauvé dans l'intérêt de la solidarité européenne exploite la notion simpliste de la résistance que les contribuables de pays comme l'Allemagne, les Pays-Bas et la Finlande ont démontrée pour « subventionner » la Grèce. Tandis qu'il est indéniable qu'une partie de cette résistance est basée sur des préjugés nationalistes - souvent exacerbés par les médias - ce n'est pas toute l'histoire. De nombreux Européens n'aiment pas devoir payer la facture pour subventionner les banques européennes qui ont accordé des prêts douteux. Et les autorités de l'UE n' « aident » pas la Grèce, pas plus que les Etats-Unis et l'OTAN n' « aident » l'Afghanistan - pour reprendre un débat quelque peu analogue, où ceux qui s'opposent aux politiques destructrices sont étiquetés de « rétrogrades » et d' « isolationnistes ».

Il apparaît qu'une grande partie de la gauche européenne ne comprend pas la nature de droite de ces institutions, de ces autorités et, en particulier, de ces politiques macroéconomiques, auxquelles elle est confrontée dans la zone euro. Ceci fait partie d'un problème plus général avec l'incompréhension du public vis-à-vis de la politique macroéconomique dans le monde, qui a permis aux banques centrales de droite de mettre en ouvre des politiques destructrices, parfois même sous des gouvernements de gauche. Ces incompréhensions, en même temps que l'absence de contribution démocratique, pourraient aider à expliquer le paradoxe selon lequel la politique macroéconomique actuelle de l'Europe est plus à droite que celle des Etats-Unis, malgré des syndicats qui y sont plus forts et d'autres bases institutionnelles [théoriquement] favorables à une politique économique progressiste.

Mark Weisbrot est un économiste et le directeur du Center for Economic and Policy Research

Traduit par [JFG-QuestionsCritiques]

________________________

Pour en savoir plus sur les secrets de la FED, vous pouvez lire "Les Secrets de la Réserve Fédérale", par Eustace Mullins et traduit en français (2010), disponible sur amazon

Extraits disponibles :
* RÉSERVE FÉDÉRALE : COMMENT L'OLIGARCHIE BANCAIRE DOMINE LE MONDE — Eustace Mullins & Jean-François Goulon
* LES SECRETS DE LA RÉSERVE FÉDÉRALE — Eustace Mullins


Cet article vous a intéressé ?
Merci de votre donation...
Montant en euros:





Statcounter