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"diplomatie" USraélienne

L’interdiction de vendre de l’essence à l’Iran est-elle une étape vers la guerre ?

par Michael Klare
Foreign Policy in Focus, le 23 août 2009

article original : "Is Iran gas ban a step toward war?"

Alors que l’administration Obama se démène pour concevoir une stratégie afin de s’occuper de l’intransigeance iranienne sur la question de l’enrichissement de l’uranium, celle-ci semble se diriger vers l’imposition d’un embargo international sur les ventes d’essence à l’Iran.

Cette interdiction serait appliquée au cas où les responsables iraniens n’arriveraient pas avec un plan de négociation acceptable, au plus tard lors de réunion de l’Assemblée Générale des Nations-Unies, qui se tiendra fin septembre – date limite fixée par la Maison Blanche pour une démarche constructive de la part de l’Iran.

Bien sûr, l’Iran est un producteur majeur de pétrole. Il a extrait quelques 4,3 millions de barils par jour en 2008. Mais l’Iran est également un très gros consommateur de produits pétroliers. Crependant, son industrie pétrolière a une faiblesse structurelle importante : sa capacité de raffinage est trop réduite pour satisfaire les besoins du pays en essence. Par conséquent, l’Iran est obligé d’importer environ 40% des produits raffinés dont il a besoin. Les responsables du gouvernement iranien essayent de réduire cette dépendance par le biais du rationnement et d’autres mesures, mais ce pays reste très vulnérable à toute réduction des importations d’essence.

A Washington, nombreux sont ceux qui voient cette vulnérabilité iranienne comme une occasion de contraindre ce pays à abandonner son programme d’armement nucléaire. Bien que les responsables iraniens nient rechercher des armes nucléaires, de nombreux analystes occidentaux pensent que l’effort d’enrichissement en cours actuellement à l’énorme installation de centrifugation de Natanz est destiné à produire de l’uranium hautement enrichi pour une bombe iranienne qui finira par exister.

Malgré la pression exercée par les Etats-Unis et l’Union Européenne, Téhéran a refusé de cesser son activité à Natanz ou de considérer la ralentir dans le cadre du processus de négociation. Les partisans d’un embargo sur l’essence soutiennent que les sanctions devraient être la prochaine étape au cas où l’Iran persisterait dans cette voie.

A la place de la guerre ?

De nombreuses personnalités de premier plan, aux Etats-Unis et en Israël, ne privilégient pas les sanctions économiques mais l’action militaire, si Téhéran ne cesse pas l’enrichissement de l’uranium. Dans ce cadre, l’administration US envisage de prendre une mesure qui donne l’impression d’une action énergique mais qui évite un engagement militaire risqué. Couper les approvisionnements d’essence à l’Iran, pense-t-on, pourrait permettre une telle option.

Le Président Obama lui-même a vanté les mérites d’une telle mesure lors du dernier débat durant la course à la Maison Blanche, le 15 octobre 2008. « Si nous pouvons les empêcher d’importer l’essence, ainsi que les produits pétroliers raffinés, dont ils ont besoin, cela commencera à modifier leur analyse en termes de coûts par rapport aux bénéfices », a-t-il déclaré. « Pour commencer, il faut leur mettre la pression ».

Obama n’a pas exprimé de point de vue similaire depuis son entrée en fonction, mais on pense que beaucoup de personnes dans son entourage privilégient cette approche. Chaque action porte en elle de sérieux risques, a fait observer le Sénateur Evan Bayh, lors d’une récente audition parlementaire sur le sujet, « [mais] je pense fermement… qu’utiliser une pression économique est de loin supérieure aux alternatives extrêmes consistant à rester les bras croisés pendant que l’Iran devient une puissance nucléaire ou à compter sur une frappe militaire, qui pourrait avoir de graves conséquences et ne devrait être envisagée qu’en dernier recours. »

Si l’Iran ne se présente pas avec une position de négociation constructive lors de la prochaine réunion de l’Assemblée Générale des Nations-Unies, en septembre, la Maison Blanche devrait mettre au point un ensemble de tactiques comprenant d’autres options que la guerre. Attaquer l’installation de centrifugation de Natanz et d’autres installations nucléaires iraniennes pourrait retarder les ambitions nucléaires de ce pays, mais cela pourrait aussi décle,cher un conflit plus large qui nuirait sévèrement aux intérêts vitaux des Etats-Unis.

L’Iran répondrait probablement à une telle attaque en attaquent les installations pétrolières et les bateaux-citernes dans toute la zone du Golfe Persique – ce qui conduirait à nouveau les prix du pétrole à s’envoler – et en soutenant une nouvelle série d’attaques violentes de la part de ses mandataires en Irak, au Liban et partout au Proche-Orient. Une attaque unilatérale des Etats-Unis contre l’Iran provoquerait également la même condamnation internationale qui accueillit l’invasion américaine de l’Irak en 2003.

Il est donc grandement désirable de disposer d’autres options avant de faire la guerre. Mais l’on doit se poser la question suivante : une interdiction des ventes d’essence serait-elle un pas vers la paix ou un pas vers la guerre ? C’est-à-dire, est-ce que cela rendrait un conflit armé moins probable en forçant les Iraniens à revenir à la table de négociation dans un état d’esprit plus accommodant ou cela serait-il un tremplin pour une action militaire ?

Evidemment, personne ne peut en être absolument sûr. Mais il y a de bonnes raisons d’être sceptique sur l’efficacité d’une interdiction sur l’essence pour promouvoir la paix et la coopération.

Pourquoi cela pourrait ne pas marcher

Pour être efficace, une interdiction sur l’essence nécessiterait l’approbation de la Russie, de la Chine, de l’Inde et d’autres puissances clés qui sont réticentes à l’idée d’imposer des sanctions sévères contre l’Iran. Ces pays commercent beaucoup avec l’Iran et ne mettront probablement pas en danger leur position bien établie là-bas, en se pliant à la mesure soutenue par les Etats-Unis.

La Chine et la Russie, qui disposent du droit de veto au Conseil de Sécurité de l’ONU, n’approuveront probablement pas toute mesure qui entraînerait une interdiction sur l’essence au moyen d’un blocus naval dans le Golfe Persique et l’Océan Indien – une action essentielle pour empêcher les contournements et la contrebande. Avec le soutien tacite de ses partenaires commerciaux, les Iraniens pourraient facilement contourner l’embargo par divers moyens.

Un embargo imposé par les Etats-Unis sur les produits raffinés permettrait également au régime d’Ahmadinejad d’initier un rationnement plus dur sur l’essence, d’augmenter les prix de l’énergie et de faire passer d’autres mesures économiques impopulaires – tout cela au nom du nationalisme et de l’anti-impérialisme. Quiconque s’opposerait à de telles mesures serait désigné comme un allié ou un agent du « Grand Satan » – les Etats-Unis.

Dans ces circonstances, les Iraniens ne seraient probablement pas plus enclins à négocier la sortie de leur programme d’enrichissement qu’en l’absence d’une telle interdiction. Au contraire, les mollahs conservateurs qui dirigent le pays pourraient voir cela comme un signe divin – une manière de consolider le soutien intérieur à un moment où beaucoup de jeunes Iraniens semblent rejeter la domination cléricale.

D’un autre côté, un embargo sur l’essence pourrait provoquer les Iraniens à prendre des mesures qui augmenteraient le risque de guerre, en particulier si les Etats-Unis utilisent des moyens militaires pour faire respecter cette interdiction. Par exemple, ils pourraient encourager leurs alliés en Irak, tels que les fidèles les plus durs de Muqtada al-Sadr, à renouveler leurs attaques contre les soldats américains à Bagdad et ailleurs.

Ces derniers mois, les Sadristes ont été relativement tranquilles, préférant s’engager dans la lutte politique que dans la lutte armée. Mais ils n’ont pas vraiment rejeté leur capacité à fomenter des troubles et, avec un bon coup de pouce de la part de Téhéran, ils pourraient à nouveau prendre pour cible le personnel américain et leurs partenaires irakiens, compliquant de fait le retrait des Etats-Unis.

Conduisant à la guerre ?

Des scénarios plus effrayants pourraient se dérouler si les Etats-Unis et leurs plus proches alliés cherchent à faire respecter un embargo en établissant un blocus naval au large de l’Iran et en arrêtant les navires considérés comme violant cette interdiction. Etant donné la forte probabilité de contournement, un tel blocus serait probablement nécessaire pour que l’embargo soit efficace. Mais une telle mesure serait considérée comme un acte de guerre et pourrait très bien entraîner des représailles de la part du Corps des Gardiens de la Révolution Iranienne – qui dispose de sa propre flotte de petits bateaux.

Une avant-première angoissante d’un tel scénario s’est produite en janvier 2008, lorsque cinq hors-bord iraniens se sont approchés de plusieurs navires de guerre américains dans le Détroit d’Ormuz et, selon certains comptes-rendus, auraient menacé de les faire sauter.[1] Un navire américain, l’USS Hopper, était sur le point d’ouvrir le feu contre les bateaux iraniens lorsqu’il a viré de bord, mettant fin à cet engagement.

Il est facile d’imaginer la répétition de scènes similaires – avec moins d’issues bénignes – , dans l’éventualité que des navires de guerre américains tentent d’établir un blocus du territoire iranien. Une fois que des tirs sont effectués, quelles que soient les circonstances, il pourrait s’avérer difficile d’éviter une escalade vers des moyens militaires plus conséquents, conduisant au scénario d’une guerre que l’embargo était destiné à éviter.

Qu’une interdiction sur les ventes d’essence à l’Iran porte en elle ces inconvénients potentiels n’est pas une raison pour renoncer à envisager une telle mesure ! Ainsi qu’il est suggéré, il vaut mieux envisager des sanctions économiques, au cas où l’Iran s’avèrerait intransigeant dans les mois qui viennent, plutôt qu’opter pour une action militaire.

Mais un embargo sur l’essence semble particulièrement risqué, à la fois parce que cela renforcerait la main des ecclésiastiques conservateurs à Téhéran et pourrait entraîner un blocus naval, déclenchant une réaction en chaîne de mesures violentes. Par conséquent, les responsables de l’administration américaine devraient scruter cette option avec une très grande rigueur avant qu’elle ne devienne la réponse préférée à une rebuffade iranienne en septembre.

Michael T. Klare est chroniqueur pour Foreign Policy In Focus. Il est également professeur des études sur la paix et la sécurité mondiales au Hampshire College, ainsi qu’auteur de nombreux ouvrages de géopolitique.

Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]

Notes du Traducteur :
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[1] La propagande a la vie dure ! La réalité est très différente. C’est ce que démontre M.K. Badrakumar dans « Les alliés du Golfe tournent le dos à Bush », AsiaTimesOnline, 17 janvier 2008. A LIRE ABSOLUMENT. (Inédit)

On lira également avec intérêt :

- « Le capitaine Ahab et la baleine islamique », par Kaveh Afrasiabi, AsiaTimesOnLine, 10 janvier 2008.

- « Les mains d’Esaü », par Uri Avnery, 14 janvier 2008.

- ”Apporter la Mort et la Destruction aux Musulmans”, par Paul Craig Roberts, CounterPunch le 17 janvier 2008

- « Sanctions à l'ONU : l'Iran pourrait fermer le Golfe Persique », par Yossi Melman (Haaretz, 24 janvier 2006)