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Israël, Israel über alles !

Angela Merkel à la Knesset

Par Anis Hamadeh
CounterPunch le 21 mars 2008

article original : "Merkel in the Knesset"

Si la chancelière allemande se préoccupait vraiment, comme elle le prétend, de la sécurité d'Israël, elle n'aurait pas été capable de tenir le discours qu'elle a prononcé le 18 mars devant la Knesset, le parlement israélien.

Israël est l'un des pays les moins sûrs du monde. Pourquoi cela ? Selon le discours de Merkel, le Hamas, le Hezbollah, la Syrie et l'Iran semblent en être responsables. Elle les critique pour leur attitude envers Israël. La chancelière a dit qu'Israël, pendant 60 ans, avait lutté contre les menaces et s'était battu pour la paix et la sécurité, avec les valeurs de la liberté, de la démocratie et de la dignité humaine.

Est-ce le cas ?

Alors, pourquoi les intellectuels juifs, à l'intérieur comme à l'extérieur d'Israël - dont, parmi eux, des survivants de l'Holocauste - déplorent-ils avec véhémence et de façon croissante la déchéance morale et la militarisation de la société, ainsi que la politique d'autodestruction de ce pays ?

Parmi ceux-ci, on retrouve des personnes comme Ilan Pappe, Uri Avnery, Gideon Levy, Amira Hass, Reuven Moskovitz, Uri Davis, Jeff Halper, Hajo Meyer, Hedy Epstein, Noam Chomsky, Felicia Langer, Ran Ha Cohen, Norman Finkelstein, Shulamit Aloni, Michael Warschawski, Tom Segev ou des institutions comme B'tselem, Gisha, Zochrot, les Rabbins pour les Droits de l'Homme, le Comité Israélien Contre les Démolitions des Maisons, la Voix Juive Pour la Paix. Cette liste, beaucoup plus longue, n'est [bien sûr] pas exhaustive. Toutes ces personnes et ces associations se préoccupent de la sécurité d'Israël et ce que les unes écrivent et que les autres dénoncent par des manifestations leur est dicté par le sens des responsabilités.

L'idée selon laquelle ceux qui critiquent l'Etat d'Israël, Juifs et non-Juifs, sont accusés respectivement d'être des Juifs se haïssant eux-mêmes ou d'antisémitisme. Par exemple, dans son best-seller actuel, "Le Nettoyage Ethnique de la Palestine", l'historien Ilan Pappe apporte des preuves que la fondation d'Israël a été accompagnée de crimes contre l'humanité. Une grande partie de la population indigène a été brutalement expulsée - certains ont été assassinés -, des centaines de villages ont été détruits et des propriétés ont été saisies.

A quelle sorte de paix peut-on parvenir en ignorant de tels faits ? Quelle sorte de paix peut-on rechercher en ignorant l'occupation, depuis des dizaines d'années, de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza ? Et l'annexion d'une partie de la Syrie ? Quelle sorte de paix peut-on espérer lorsqu'un mur est construit, non pas à la frontière, mais sur la terre d'un voisin ? Lorsque des colonies sont installées en territoire occupé et qu'elles s'y étendent, encore aujourd'hui, contrevenant ainsi à la loi internationale ? Lorsque des nappes phréatiques d'un autre territoire sont puisées [par la puissance occupante] ? Lorsque des populations sont harcelées et traitées avec violence à cause de leur affiliation ethnique ? Lorsque les élections démocratiques du voisin sont annulées, conduisant à la guerre civile ?

Frau Merkel a déclaré que l'Allemagne est "résolument" engagée dans la "vision à deux Etats". C'est exactement ce qu'Israël répète depuis des décennies, tandis que le territoire palestinien se réduit comme de chagrin à cause des annexions et des fragmentations. [La "solution à deux Etats"] est un terme pour faire patienter qui ne veut rien dire. En particulier lorsque le gouvernement corrompu du Fatah, écarté par sa propre population, est maintenu sous perfusion. Par exemple, l'actuel délégué général palestinien auprès de l'Allemagne, auquel on refuse le rang d'ambassadeur, ne parle pas plus allemand qu'il est voué à son peuple. Il vient de la clique tunisienne notoire et il s'entend mieux avec Olmert et Merkel qu'avec les siens. L'un des conseillers de Mahmoud Abbas a été récemment épinglé pour avoir tenté de faire passer en contrebande des milliers de téléphones mobiles en Jordanie. Le Fatah est associé à trahison et "robinets en or" et à une politique autoritaire égoïste. Il n'y a aucun Etat qui puisse être construit là-dessus.

"60 années de construction d'Israël - c'est à dire 60 années de brillant travail de construction d'un peuple dans des circonstances difficiles", a déclaré Merkel. Il manque sûrement quelque chose ! Cela a-t-il du sens de flatter le côté officiel d'Israël et de l'encourager dans une politique destructrice ? Voici ce que nous entendons : Pour commencer, la violence du peuple sous occupation doit cesser ; pour commencer, l'Etat occupant doit être reconnu. Conditions [sine qua non]. Toutefois, même là où les manifestations sont non-violentes, comme à Bil'in, Israël joue la carte de la sévérité militaire. C'est un truisme de dire que l'occupation et l'oppression conduisent à la résistance ainsi qu'au terrorisme.

Malheureusement, dans la Politique avec un grand P, ce ne sont pas les faits qui comptent, mais les mythes. Jusqu'à aujourd'hui, Israël et les Juifs sont prétendument les victimes de l'histoire. C'est ce que tous les enfants en Israël apprennent à l'école. "Bien que la République Fédérale d'Allemagne se soit toujours tenue aux côtés de l'existence d'Israël et de son droit à exister, le public allemand a souvent manqué d'engagement et d'empathie pour l'Etat qui a été arraché au désert et à un environnement anti-occidental hostile. Les sondages montrent encore et toujours que de nombreux Allemands ont beaucoup de compréhension pour les Palestiniens et leurs problèmes - tout en restant à une distance plus critique vis-à-vis d'Israël, au regard de l'héroïsme israélien de survie, sans pour autant adopter une attitude agressive primaire", a écrit avec sentimentalisme le rédacteur en chef du quotidien Die Welt, Thomas Schmid, le 16 mars 2008, dans une contribution en une.

Lorsque la violence d'Israël est louée comme étant héroïque, il ne faut pas s'étonner qu'il n'y ait aucun changement. Le mythe d'Israël en tant que victime, le mythe de la Guerre des Six Jours, le mythe d'Oslo, le mythe de l'antisémitisme arabo-islamique, sont tous réfutés et forment toujours la base de la politique occidentale.

Il est perfide qu'Israël prétende parler et agir pour tous les Juifs pour violer les droits de l'homme et la loi internationale explicitement au nom des Juifs - ceci conduit inévitablement à la création de tendances anti-juives. C'est un problème majeur. Nous entendons que ce serait un cliché antisémite de dire que les Juifs sont eux-mêmes responsables de la judéophobie. Mais la discussion ne s'arrête pas là.

En effet, si les choses sont si simples, alors, pourquoi Israël agit-il contre ses propres intérêts ? Depuis le début, la société israélienne a été traumatisée par le génocide nazi contre les Juifs. C'est dans la nature d'un traumatisme que la situation non surmontée soit ressassée, encore et toujours, et provoquée inconsciemment - tant que ce qui s'est produit en Allemagne et en Europe ne soit complètement compris. C'est la raison pour laquelle les dirigeants palestiniens, arabes et musulmans ont été constamment conceptualisés comme les fantômes d'Hitler : Arafat, le Cheikh Yacine, Saddam, Ahmadinejad, etc. Les mesures brutales contre la population civile sont aussi comprises comme faisant partie du traumatisme ; c'est un truisme de dire que les victimes peuvent facilement se transformer en persécuteurs lorsqu'ils ne surmontent pas leur traumatisme. Ceci est certainement vrai aussi des Palestiniens.

Il y a une autre raison qui conduit Israël à s'enfermer dans son traumatisme : l'idéologie sioniste a besoin de l'antisémitisme comme légitimation. C'est la base de la politique israélienne, tant de la part du Likoud que des Travaillistes. Sans cette "menace existentielle", quelle soit réelle ou propagande, l'identité israélienne, du moins tant qu'elle est sioniste, se décomposerait. Dans les principaux médias allemands et dans la politique de l'Allemagne, les informations sur Israël et la Palestine sont fortement filtrées - et aussi falsifiées. Un coup d'œil sur les informations à www.theheadlines.org montre l'écart énorme entre ce qui est rapporté en Allemagne et ce qui ne l'est pas. La politique allemande vis-à-vis d'Israël peut se résumer ainsi : l'antisémitisme s'est transformé en philo-sémitisme - le mauvais Juif est devenu le bon Juif. Ces deux notions sont tout aussi racistes l'une que l'autre et n'aident personne : elles séparent les Juifs des autres peuple, signifiant toutes deux un traitement spécial.

Nous, les Allemands, avons bien compris que "l'Allemagne, l'Allemagne au-dessus de tout" ("Deutschland, Deutschland über alles", les anciennes paroles de l'hymne national) était mauvaise. Alors pourquoi le philo-sémitique "Israel, Israel über alles" serait-il juste ? Ou "Les Etats-Unis, les Etats-Unis au-dessus de tout" ? George Bush a lancé une guerre d'agression contre l'Irak. Nous nous souvenons que le lancement agressif de la guerre été l'accusation principale du procès de Nuremberg. Alors, quelle peut-être notre unité de mesure ? La réponse est aussi simple qu'elle est convaincante : la loi internationale et les droits de l'homme. Sans mais. Dans ce conflit asymétrique, c'est tout simplement une erreur de demander que les "deux camps" aillent l'un vers l'autre et vers le compromis. La Palestine, comparée à Israël, n'a aucun pouvoir, aucun Etat, aucune armée, aucune monnaie, aucune infrastructure, pas même assez à manger et à boire. Légalement, la situation est aussi claire que le jour et il n'y a rien à négocier. Il y a tout simplement une loi à respecter et c'est tout.

Maintenant, tous ceux, qui pensent que l'Allemagne, à cause de son passé, est le dernier des pays à pouvoir critiquer Israël sur ses fondamentaux, ont tort. Israël s'autodétruit et son amie l'Allemagne, qui a elle-même connu pareille autodestruction, ne se contente pas de regarder Israël persévérer, elle l'y encourage et parle de "valeurs communes". C'est ce qu'a fait Merkel devant la Knesset. Rien à voir avec la thèse selon laquelle, en matière de politique, Israël n'écoute personne. De toute façon, c'est faux ! Les rapports internationaux disent que la présence de témoins occidentaux poussent Israël à rester fidèle au souvenir, même si les meurtres de Rachel Corrie, Tom Hurndall et autres militants montrent aussi qu'il y a des dangers. L'Allemagne a pris un virage bien trop facile en passant de la solidarité nazie absolue à la solidarité absolue avec les Etats-Unis et Israël. [A ce titre,] elle est complice des conséquences.

Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]

Lire Aussi :
__________________

- La Catastrophe Palestinienne, Hier et Aujourd'hui, par Sandy Tolan, TomDispatch.com
- Le Roi George, par Uri Avneri
- Les Victimes de Rupert Murdoch, par Richard Neville
- Les Palestiniens Doivent Payer le Prix de leur Choix, par Kathleen Christison

[2]
- Perdus dans la traduction, par Jonathan Steele
- Khaled Meshal : L'Occident ne nous comprend pas
- La politique d'Apartheid d'Israël est pire que celle de l'Afrique du Sud, par Jimmy Carter