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Les raisons de l'immense succès des élections en Iran

Par Pepe Escobar
RT, le 7 mars 2016

article original : "Why the Iranian elections were a huge success"


Il est tout à fait extraordinaire que lors des dernières élections en Iran, les opposants à l'équipe de Rouhani - en particulier les partisans de la ligne dure contre l'accord nucléaire - aient reçu une « déculottée » (terme employé par Obama) à Téhéran.

Ils ont quasiment disparus de la représentation de la capitale, non seulement au Majlis (le parlement), mais également à l'Assemblée (orwellienne ?) des Experts de 88 membres, qui choisira le prochain dirigeant Suprême et qui supervise actuellement l'Ayatollah Khamenei.

Il n'y a tout simplement aucun jusqu'au boutiste/ultra-conservateur représenté parmi les 30 membres parlementaires élus à Téhéran (leur leader, Gholam Ali Adel, a pointé à la 31ème place. Les vainqueurs sont issus de la « Liste de l'Espoir » (sic), ainsi que l'ancien président Mohammed Khatami a défini les candidats réformistes.

Oui, il ne faut jamais sous-estimer la sagesse des électeurs iraniens.

Pourquoi Téhéran importe-t-elle autant ? Parce que les représentants élus de la capitale sont ceux qui dictent la direction politique du Majlis.

A l'Assemblée des Experts, les trois ultra-conservateurs clés ont également été battus à plates coutures. Le premier d'entre eux est l'Ayatollah Mesbah Yazdi, alias « Le Crocodile » et inquisiteur en chef de toute « sédition » réformiste. J'ai essayé une fois - en vain - de l'interviewer lors de son séminaire à Qom en 2006 ; il refuse de parler aux journalistes étrangers. Il est essentiel de se rappeler que Mezbah Yazdi fut le mentor spirituel de l'ancien président Mahmoud Ahmadinejad.

Mohammed Yazdi, de l'extrême droite la plus radicale, a également reçu une déculottée. Et enfin, ce qui est très important, est que l'Ayatollah Janati, le chef du Conseil des Gardiens - qui avait dirigé la sélection des candidats de ces deux élections -, avait invalidé d'innombrables personnalités jugées « trop critiques » du « système. Le résultat est que l'Assemblée des Experts est désormais centriste - bien qu'elle soit toujours loin d'être réformiste. Le Président Rouhani lui-même et l'ancien président Akbar Hashemi-Rafsanjani, alias « Le Requin », ont capté le plus de voix, en compagnie de 57 autres centristes.


Lentement, graduellement et sans agit-prop

Tout cela n'a pu se produire que grâce à une mobilisation extrêmement forte à Téhéran des suffrages des jeunes électeurs libéraux de la classe moyenne et des femmes. Les jeunes Iraniens - hommes et femmes - composent après tout la majorité des électeurs - et la majorité de la population. S'ils avaient un mantra collectif, ce serait quelque chose comme « Marre des jusqu'au-boutistes » - dont l'intolérance n'a fait qu'accroître l'isolement par rapport à l'Occident.

La « déculottée » est également due à l'attrait toujours phénoménal et populaire pour Khatami - avec son célèbre « dialogue des civilisations », toujours massivement soutenu par les femmes et les jeunes, autant qu'il est haï comme la peste par l'extrême-droite pure et dure, ces rouages non-élus de la complexe machine politique iranienne. S'il y avait un nom pour définir l'attrait pour Khatami, ce serait son incarnation de la confiance populaire en la réforme. Un parlement centriste pragmatique sera du pain béni pour Rouhani dans sa quête pour l'ouverture économique - même si ces centristes pragmatiques resteront une minorité en comparaison aux khomeynistes.

La raison est que l'Iran rural et provincial est sur-représenté au parlement ; par exemple, les huit plus grandes villes du pays, où les centristes pragmatiques ont obtenu de très bons résultats, concentrent plus de la moitié de la population mais ne comptent que pour 57 des 290 sièges du parlement [moins de 20%].

A présent, ce sera une question de négociations à l'arraché. Les centristes pragmatiques de Téhéran disposeront de suffisamment d'espace pour amener un grand nombre de conservateurs pragmatiques à coopérer avec eux au parlement pour le bien national. Cela exclura évidemment l'extrême droite, qui était contre l'accord nucléaire et qui n'est pas exactement désireuse de voir l'Iran s'ouvrir économiquement et culturellement à l'Ouest (l'Asie est une autre histoire, centrée sur le business).

Ce que les résultats électoraux ont déjà produit est un intérêt renouvelé des investisseurs potentiels européens pour le marché iranien très prometteur. L'Iran a besoin d'au moins 50 milliards de dollars de capital étranger chaque année, selon le plan quinquennal présenté par le gouvernement de Rouhani en janvier dernier.

Le secteur clé est bien sûr l'énergie ; des contrats pétroliers plus attractifs pour les multinationales étrangères ont déjà été annoncés - soulevant l'ire des ultra-conservateurs. Cependant, Rouhani est un dirigeant très habile. Il ne veut pas un parlement enlisé dans l'agitprop réformiste. Il sait que toute réforme en Iran sera lente et graduelle. C'est l'essence d'un programme pragmatique centriste.

En même temps, cela aide beaucoup que l'accord nucléaire ait été massivement soutenu par les élites iraniennes. Prenez le cas d'Ali Larijani - un conservateur pragmatique - qui fut le président du Majlis pendant deux ans et qui a fait un travail remarquable pour repousser les opposants farouches à l'accord nucléaire.

Larijani a été élu comme représentant de Qom. Il était fortement soutenu par ce que l'Iran a de plus proche en ce moment comme superstar polilico-militaire : le Général Qassem Soleimani, qui dirige les forces iraniennes en Syrie.

Pour sa part, le Dirigeant Suprême, l'Ayatollah Khamenei, a joué à la perfection son rôle d'arbitre vigilant, saluant le succès des élections tout en mettant en garde contre « un progrès superficiel sans indépendance ni intégrité nationale ».

Tout semble donc en bonne voie pour que l'Iran obtienne tout l'investissement étranger dont il a besoin ; pour ré-émerger en tant que puissance géopolitique de premier plan en Asie du Sud-Ouest ; pour avancer progressivement en vue de l'intégration eurasiatique, en compagnie de la Russie, de la Chine et de l'Asie centrale ; et pour remplir ce que les Iraniens de toute obédience veulent : une meilleure qualité de vie, un meilleur accès à la technologie (qui comprend l'internet à haut débit), la paix avec leurs voisins (qui inclut de vaincre Daech), et le respect qui est du depuis longtemps à une puissance salutaire et stabilisatrice, héritière d'une grande civilisation.

Copyright 2016 Pepe Escobar/[JFG-QuestionsCritiques]

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