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diplomatie

Le désaccord sur le Proche-Orient gâche la « réinitialisation » américano-russe

Par M. K. Bhadrakumar
Asia Times Online, le 25 mai 2011

article original : "Middle East rift mars US-Russia 'resetting'"

La dernière chose que le Président Dimitri Medvedev a fait avant son départ pour la France pour participer au sommet du G-8 à Deauville, fut de passer un coup de fil à Damas.

De prime abord, on pourrait penser que cet appel avait du sens, puisqu’ainsi que Reuters l’a rapporté : « Les mesures sévères prises par la Syrie contre les protestataires pro-démocratie » feront parties des tout premiers sujet à l’ordre du jour du sommet. Mais Medvedev avait autre chose en tête : il voulait reprendre avec ostentation le fil de sa précédente conversation du 6 avril [2011] avec son homologue syrien, Bachar el-Assad.

Selon une déclaration du Kremlin, Medvedev a exprimé à cette occasion le « soutien de Moscou aux projets du pouvoir syrien d’entreprendre les réformes intérieures annoncées par M. Assad, en vue d’empêcher que la situation dans le pays ne se détériore, d’éviter les pertes humaines et de maintenir la paix civile ».

Selon plusieurs comptes-rendus, le nombre de victimes en Syrie pourrait atteindre désormais plusieurs milliers et la paix civile est gravement menacée. Durant son appel de mardi, Medvedev a toutefois réitéré la « position de principe de Moscou au regard et autour des événements en Syrie » et a exprimé « l’espoir que les réformes lancées par M. Assad seront mises en application de façon dynamique par le pouvoir syrien et dans un dialogue élargi avec le public syrien ».

En réponse, Assad a dit à Medvedev qu’il « faisait et continuerait de tout faire pour garantir l’expression libre et pacifique de la volonté des citoyens syriens. En même temps, le pouvoir syrien n’a pas l’intention d’autoriser les activités des groupes radicaux et fondamentalistes. »

Jeudi dernier encore, le Président US Barack Obama a offert de façon menaçante un choix existentiel à Assad : présider une transition pacifique du pouvoir en Syrie ou être chassé du pouvoir. Obama n’a pas exactement dit que le sort d’Assad serait le même que celui du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, mais il a probablement voulu dire quelque chose qui s’en approchait.

La question est que Medvedev et Assad ont dit à Obama d’aller se faire voir. Pourtant, Medvedev doit avoir un entretien, jeudi, en tête-à-tête avec Obama, en marge de la réunion du G-8.


Des rebelles libyens à Moscou

On pourrait dire que ceci est un prêté pour un rendu. Medvedev a sans aucun doute été atteint dans son prestige par la décision qu’il a prise de s’abstenir durant le vote sur la Libye au Conseil de sécurité des Nations-Unies, rejetant les conseils de diplomates russes très expérimentés, selon lesquels cette résolution 1973 était profondément discutable sur de nombreux points et qu’elle ouvrait la voie à diverses interprétations en aval. Rétrospectivement, Medvedev a parié sur les promesses faites en coulisses par les puissances occidentales et il a perdu la face.

La communauté stratégique russe est horrifiée que la « coalition volontaire » sous la bannière de l’OTAN soit depuis lors intervenue en Libye et qu’elle soit sur le point d’entraînéer un changement de régime. Les protestations de Moscou ont été froidement ignorées par les puissances occidentales.

Pour mettre de l’huile sur le feu, la France n’a pas arrêté d’inviter la Russie à se joindre à son groupe de contact (« Les amis de la Libye »), en dépit de la mise en doute par Moscou de la légitimité d’une telle entreprise qui ne dispose pas d’un mandat de l’ONU.

En attendant, Moscou se retrouve face à un fait accompli et la Russie est obligée de s’ajuster à la hâte aux nouvelles réalités des puissances occidentales, qui imposent un changement de régime à Tripoli. Un représentant de l’opposition libyenne a été reçu lundi à Moscou par Lavrov. Suite à cette rencontre, Lavrov a reconnu le Conseil National de Transition libyen (CNT) comme « partenaire légitime ».

La position russe a constamment été que « toutes les forces politiques et toutes les tribus » devaient être impliquées dans toutes les négociations futures. Il se peut que Moscou estime être mieux placé pour défendre un plan de paix et jouer un rôle dans la transition du pouvoir à venir à Tripoli, en ayant des contacts à la fois avec le gouvernement libyen et l’opposition. (Les envoyés de Kadhafi se sont également rendus à Moscou la semaine dernière pour discuter).

Cependant, le CNT a déjà commencé à exulté sur le fait que Moscou lui avait accordé sa « reconnaissance », pou laquelle les chancelleries occidentales doivent arborer un sourire satisfait. Le porte-parole du CNT, Abdel Rahman Chalgham a dit à des journalistes à Moscou, après sa rencontre avec Lavrov : « Nous [le CNT et la Russie] avons une compréhension mutuelle sur la question de reconnaître le gouvernement de transition à Benghazi. Le fait que j’ai été reçu à Moscou par le ministre des affaires étrangères en dit long sur le rôle et l’importance du Conseil [national de transition] ».

Il ne fait aucun doute qu’il tient là un point essentiel. Chalgham a également dit que l’opposition ne participerait à aucune négociation avec Kadhafi.


La Russie acclame l’unité palestinienne

Evidemment, Moscou a maintenu un profil-bas sur la visite du CNT, mais a aussi décidé de rendre la monnaie de leur pièce aux Etats-Unis. Même si l’homme du CNT s’est présenté au ministère des affaires étrangères à Moscou, Lavrov a programmé une autre réunion avec des visiteurs arabes – un mélange d’une délégation palestinienne composée du Fatah et du Hamas et cinq autres groupes qui sont arrivés à Moscou le week-end dernier. Contrairement à l’entretien semi-officiel avec Chalgham, Lavrov avait organisé une rencontre [officielle] avec les dirigeants palestiniens.

Lavrov a saisi l’occasion pour s’étendre sur le récent pacte d’union entre le Fatah et le Hamas qui a été négocié par l’Egypte et signé au Caire ce mois-ci. Il a dit que cet accord revêtait une « importance historique » et que la Russie accueillait favorablement son contenu et qu’elle soutiendrait sa mise en place.

La Russie a pris une position sur l’unité entre le Fatah et le Hamas qui est diamétralement opposée aux vues exprimées par Obama. Lavrov a déclaré que le pacte du Caire était « conçu pour établir des conditions favorables » en vue de reprendre les négociations avec Israël et il a souligné que la Russie avait « activement contribué aux efforts de médiation de l’Egypte ». En attendant, les commentateurs russes n’ont pas perdu de temps pour se moquer du discours qu’Obama a prononcé jeudi dernier sur le Proche-Orient.

Un commentateur moscovite expérimenté sur le Proche-orient a écrit : « Six mois après le début du Printemps arabe, Obama a finalement pris la peine de formuler la politique de son pays vis-à-vis du monde arabe, mais il n’est pas allé plus loin que ça. Son discours... ne s’est même pas approché d’un « Caire-2 ». En 2009, il avait dit devant des étudiants de l’Université du Caire qu’il allait secouer le Proche-Orient, se lier d’amitié avec les Arabes et réaliser la paix, mais rien de tout cela n’a été suivi d’effet. »

Les sherpas du G-8 auront beaucoup de difficultés pour rallier la Russie sur la Libye et la Syrie. Il se peut que sur la question palestinienne, la Russie puisse partager quelques points de vue avec l’opinion européenne, laquelle accueille favorablement le principe de l’unité palestinienne, mais il sera intéressant de voir si le G-8 peut parvenir à quelque chose de positif sur l’accord entre le Fatah et le Hamas. En effet, les Etats-Unis ont confirmé leurs fortes objections concernant cet accord.

La conversation entre Medvedev et Assad de mardi dernier signifie à la fois l’assurance d’un soutien pour le dirigeant syrien et un signe avant-coureur aux puissances occidentales qui participeront au G-8 que la Russie aura un problème pour accepter toute menace contre Damas. Une fois encore – lors de sa conférence de presse à Moscou le 17 mai – Medvedev a affirmé qu’il ne permettrait pas à une résolution des Nations-Unies, qui autoriserait des sanctions contre la Syrie, de passer, « même si mes amis me supplient ». Ce qu’il entendait par-là est qu’il était prêt à faire partie de la minorité à Deauville.

Ces discordes sur le Proche-Orient n’apportent pas un cadre favorable à Obama et à Medvedev pour qu’ils aient une réunion fructueuse à Deauville. Il apparaît que Moscou a déjà estimé que la réunion de Medvedev avec Obama ne produira pas d’avancée significative sur la question de la défense antimissile.

Bien que le président russe ait récemment déclaré qu’un échec à s’accorder sur « un modèle de coopération dans la défense antimissile » aurait pour conséquence « une sorte de scénario qui nous renverrait à l’époque de la guerre froide », Washington n’a rien de nouveau à offrir à Moscou.

La réunion de Deauville sera un tournant. Elle révèlera si oui ou non la politique de « réinitialisation » américano-russe est toujours d’actualité. Il est clair que les deux camps ne peuvent plus se fonder sur cette « réinitialisation ». Le Traité de Réduction des Armes Stratégiques ne peut pas être suivi d’effet, et sortir de l’impasse dans le contrôle de l’armement, qui implique les armes nucléaires tactiques, s’avère difficile à cause des désaccords sur la défense antimissile.

Sans doute, la coopération américano-russe sur l’Iran et l’Afghanistan a également déjà atteint un niveau optimal et, dans tous les cas, elle ne peut pas à elle seule être la locomotive de cette « réinitialisation ».

Au-dessus de tout cela, il y a la perception croissante aux Etats-Unis que l’ère de Medvedev pourrait se terminer d’ici à l’année prochaine, ce qui agit comme un découragement à tirer parti de l’élan coopératif de cette « réinitialisation » et, à la place, se contenter de gérer ce partenariat incertain. N’importe comment, dans l’immédiat, la position de Moscou sur Proche-orient – la Libye et la Syrie en particulier – est à la base du recul de la « réinitialisation ». .


M K Bhadrakumar a servi en tant que diplomate de carrière dans les services extérieurs indiens pendant plus de 29 ans. Ses affectations incluent l'Union Sovétique, la Corée du Sud, le Sri Lanka, l'Allemagne, l'Afghanistan, le Pakistan, l'Ouzbékistan, le Koweït et la Turquie.

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