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deux poids, deux mesures

L’Ouest ferme les yeux sur la répression au Bahreïn


The Independent, vendredi 22 avril 2011

article original : "A blind eye in the West to repression in the Gulf"

La situation est différente avec celle de la Libye, car le Bahreïn
est considéré comme un allié stratégique important


Un Etat est engagé dans une répression violente ; le régime en place a perdu sa légitimité ; des rapports inquiétants font état de victimes civiles. Tout ceci décrit ce qui se passe actuellement au Bahreïn. Les fondamentaux de l’urgence dans ce petit Etat du Golfe ne sont pas si différents de ce qui se passe en Libye. Et pourtant, là où l’assaut brutal de Mouammar Kadhafi contre ses opposants, le mois dernier, a galvanisé la communauté internationale qui a engagé une action de protection, la situation au Bahreïn est plus ou moins ignorée par les capitales occidentales.

Aucune discussion n’a eu lieu au Conseil de Sécurité des Nations-Unies sur la situation au Bahreïn, aucune exigence occidentale incisive pour que le régime en place à Manama accède aux demandes démocratiques légitimes de l’opposition. Aucune sortie prévue des avions de chasse de l’OTAN pour protéger l’opposition contre la terreur pratiquée par le régime.

La différence, c’est que le Bahreïn, dirigé par la dynastie des Khalifa, est considéré par les Occidentaux comme un allié stratégique important. Cet Etat du Golfe accueille la Cinquième Flotte américaine. Manama est la plus grande base militaire de l’Amérique dans cette région. Le gouvernement britannique lui-même est tout aussi proche du régime des Khalifa. Jusqu’à ces derniers mois, la Grande-Bretagne était très heureuse d’autoriser la vente à Manama de gaz lacrymogène et autres équipements pour maîtriser les foules. La dynastie des Khalifa est également soutenue par un allié régional des Occidentaux encore plus important : l’Arabie Saoudite. Le mois dernier, Riyad a envoyé des troupes traverser la Chaussée du roi Fahd [le pont qui relie l'Arabie Saoudite au Bahreïn] pour aider à réprimer les manifestations de la population chiite bahreïnie. Comme le Bahreïn, l’Arabie Saoudite a une population chiite importante. Le régime des Saoud craint que si l’opposition triomphe au Bahreïn, sa propre population chiites sera encouragée à faire pression pour des réformes. Les Emirats Arabes Unis, motivés par les mêmes craintes, ont envoyé des troupes au Bahreïn pour la même raison. Dans tout le Golfe [Persique], les dirigeants non-élus sont bien déterminés à ce que le soulèvement arabe, qui a déjà balayé les autocraties en Tunisie et en Egypte, ne détruisent pas leurs propres régimes.

Pourtant, en restant les bras croisés tandis que cette contre-révolution prend place, l’Ouest donne l’impression de pratiquer un deux poids deux mesures flagrant. Nous déplorons la répression et les violations des droits de l’homme lorsqu’elles ont lieu dans des régimes qui sont perçus comme hostiles à nos intérêts, comme la Syrie ou la Libye. Mais lorsque nos alliés s’engagent dans des comportements similaires, nos dirigeants n’y voient visiblement pas beaucoup de mal.

Cette cécité sélective devant la violence de nos alliés n’est pas seulement une offense à la morale, elle est stratégiquement ridicule. La majorité chiite en Iran (à peine moins autocratique que ses voisins arabes) a condamné lourdement les mesures sévères qui ont été prises dans tout le Golfe Persique. Le régime bahreïni a accusé Téhéran et la milice chiite libanaise, le Hezbollah, de soutenir l’opposition intérieure. Mais que cette accusation soit vraie ou fausse (et de récents câbles de Wikileaks suggèrent qu’elle soit fausse) est hors sujet : le régime des Khalifa a clairement écarté la population chiite pendant des décennies de discrimination. Autrement, il n’aurait pas eu besoin de recourir à la loi martiale et, ainsi que The Independent le révélait hier, au harassement des docteurs qui soignent les manifestants blessés.

Le régime à Téhéran a maintenant l’occasion de renforcer sa propre position intérieure en invoquant la visible indifférence occidentale à la répression des Chiites du Bahreïn, comme un signe de mauvaise foi. Il peut arguer que, tandis que les Occidentaux prêchent les droits de l’homme et l’autodétermination, nos actions montrent que notre véritable motivation est notre intérêt personnel.

Et jusqu’à ce que les dirigeants occidentaux condamnent les violations des droits de l’homme par nos soi-disant alliés, et les condamnent aussi fermement que celles perpétrés par nos ennemis, nous n’aurons aucune solution à apporter à ceci.

Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]

LIRE AUSSI :

- Bahreïn : Terreur Secrète — Jeremy Laurance, The Independent, 21 avril 2011
- L'Iran lorgne sur un röle de médiation au Bahreïn — Kaveh Afrasiabi, Asia Times Online, 20 avril 2011
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