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Guerre Froide

Vladimir Poutine : "La Géorgie ?
Nous ne pouvions pas laisser la Russie s'en prendre une !"

Par Marie Dejevsky à Sotchi
The Independent, vendredi 12 septembre 2008"

article original : "Vladimir Putin: 'Georgia? We couldn't just let Russia get a bloody nose'"

Au cours d'un déjeuner-interview de trois heures où il a parlé sans détours,
Vladimir Poutine n'a pas mâché ses mots et il a réfuté les accusations selon
lesquelles il serait en train de construire un nouvel empire soviétique,
alors qu'il défend son pays "assailli et encerclé"



Vladimir Poutine dans un numéro imposant pour les observateurs de la Russie
les plus importants du monde, lors de son déjeuner à Sotchi. (AP)

Qu'il soit Premier ministre ou Président, l'homme qui dissertait de l'autre côté de la vaste table d'hôte était indubitablement Vladimir Poutine. Dressant son index et serrant occasionnellement le poing, l'homme, que beaucoup pensent qu'il détient toujours le véritable pouvoir en Russie, a réfuté que le monde entrait dans une nouvelle guerre froide, a rejeté les accusations selon lesquelles il voulait restaurer l'empire soviétique et a insisté sur le fait qu'une toute nouvelle course à l'armement pouvait être évitée en Europe.

Sa préoccupation immédiate, a-t-il bien fait comprendre, était de défendre l'action de son pays en Géorgie, qui a été beaucoup critiquée. Il a souligné que la Russie n'avait pas le choix. "Ils ont attaqué l'Ossétie du Sud avec des missiles, des chars, de l'artillerie lourde et l'infanterie. Qu'étions-nous supposés faire ?"

Si son pays n'avait pas envahi, a-t-il dit, cela aurait été comme si la Russie "avait pris un coup de poing sur le nez et baissé la tête" et il un "deuxième coup" lui aurait été porté dans le Nord du Caucase.

Rappelant à ses hôtes qu'il se trouvait aux jeux olympiques à Pékin lorsque la crise s'est déclenchée, M. Poutine a déclaré qu'il était "vraiment étonné, stupéfait," du silence des médias du monde entier sur l'agression géorgienne. "Qu'espériez-vous que nous eussions fait ? Riposter avec un lance-pierre ? Nous avons mis notre poing dans la gueule de l'agresseur, ainsi que tous les manuels militaires le prescrivent."

Pendant trois heures et demie hier, il a jonglé avec les fourchettes, les couteaux, la succession des assiettes remplies avec élégance et les questions qui fusaient de part et d'autre de la part des observateurs de la Russie, les plus importants du monde, sur tous les sujets, du conflit dans le Caucase à sa relation avec son successeur au Kremlin.

Ce fut une performance imposante qui débuta par une déclaration très ferme sur la Géorgie pour les caméras de la télévision russe, puis il passa à une discussion enthousiaste sur son nouveau rôle et son excitation de tout réapprendre de zéro. La seule indication réelle de son nouveau statut était qu'un repas similaire offert à ses hôtes étrangers, l'année dernière, s'était tenu sous un grand chapiteau dressé sur le terrain de la résidence présidentielle d'été ; cette année, c'était dans un complexe VIP dans ce lieu de villégiature russe qui accueillera les jeux olympiques d'hiver en 2014.

Une brigade de serveurs chuchotant a offert un service discret sous le dôme restauré de l'ancien sanatorium, à présent une destination huppée de vacances pour l'élite russe. Lorsque les convives furent assis, il leur fut servi en entrée du canard fumé à la sauce aux oranges amères, accompagné de quatre verres, eau minérale locale, jus de canneberge, vin rouge et vin blanc.

M. Poutine a répondu d'un ton irrité aux accusations selon lesquelles Moscou aurait utilisé une force disproportionnée en Géorgie, disant que les troupes russes n'ont été envoyées en Ossétie du Sud que 36 heures après l'attaque initiale. Les forces russes ont alors lancé un bombardement aérien, envoyé des chars et une troupe d'infanterie, mais pas avant que la Géorgie ait capturé la partie méridionale de l'Ossétie du Sud jusqu'à la prise de sa capitale, Tskhinvali, et de sa banlieue. Il a adopté un ton encore plus sombre pour mentionner le bouclier antimissile du Pentagone. Après avoir accusé les Etats-Unis d'agir comme "un empereur romain", il a mis en garde la Pologne et la République Tchèque contre leur accueil des missiles étasuniens. Il a dit qu'il y avait encore une chance que ces installations ne soient pas activées, mais il a prévenu : "Nous prendrons ces pays pour cible dès que ces missiles y entreront. S'il vous plaît, n'instiguez pas une course à l'armement en Europe. C'est inutile. Que devrions-nous faire ? Attendre bien sagement qu'ils déploient leurs missiles?"

Il a constamment été à la peine pour clarifier où se situait le pouvoir aujourd'hui en Russie, au milieu des spéculations, dans son pays comme à l'étranger, que le nouveau Président Dimitri Medvedev n'est rien de plus que la créature de M. Poutine. Sur l'Ossétie du Sud, M. Poutine a déclaré que le nouveau président a pris toutes les décisions. M. Medvedev a décidé d'y envoyer des troupes et a décidé que Moscou reconnaîtrait l'indépendance de l'Ossétie du Sud et de l'Abkhazie. L'ancien président a exprimé une très grande sympathie pour M. Medvedev. Il a été "malheureux", a-t-il dit, que M. Medevev se soit retrouvé face à une telle crise si tôt dans sa présidence. Il y avait eu une réelle chance que celle-ci démarre sur des bases nouvelles, M. Medevev - un "libéral et un démocrate convaincu, dont les idées sont modernes - a été obligé de montrer son 'côté dur'."

M. Poutine a parlé de s'attaquer aux problèmes jusqu'ici non résolus de l'économie russe et des relations de Moscou avec presque tous les pays représentés, y compris la Grande-Bretagne, qu'il a accusée d'héberger des criminels et des individus connus pour leur implication dans le terrorisme. "OK", a-t-il dit, "ils bénéficient de la protection de la justice britannique, mais pourquoi leur permet-on d'utiliser ce refuge comme tremplin pour des activités anti-russes ?"

Il a tenu à tirer une distinction entre ce conflit dans le Caucase et les relations de la Russie avec les anciens satellites soviétiques, pendant qu'il réfutait continuellement toute ambition impériale de la part du Kremlin. Il a fait remarquer que la Russie avait des traités frontaliers avec la plupart de ces pays qui reconnaissaient sa souveraineté. "Il n'y a, aujourd'hui, aucune contradiction idéologique ; il n'y a aucun fondement pour une guerre froide", a-t-il dit.

A propos de l'Ukraine et de sa possible qualité de membre de l'OTAN, M. Poutine a prévenu qu'il n'y avait aucune majorité publique dans ce pays pour la soutenir. Il a dénoncé avec mépris les architectes de ce qu'on appelle la révolution orange, en disant que la direction de ce pays était "divisée et chaotique". Il a plaisanté à propos des accusations selon lesquelles le Premier ministre ukrainien, Julia Timochenko, serait du côté d'éléments pro-russes. L'idée selon laquelle cette politicienne aussi anti-russe avait changé de camp a déclenché chez lui un éclat de rire et un roulement des yeux. "Grands dieux !" a-t-il dit."Où en sommes-nous aujourd'hui ?"

L'ancien chef du KGB, rebaptisé FSB, a déploré ce qu'il décrit comme la Russie "assiégée et encerclée" par un "Occident hostile", accompagnant ses plaintes de regards occasionnels de frustration. M. Poutine a dit que la Russie s'opposait fermement à ce que l'Ukraine intègre l'OTAN, car son voisin occidental a pour la toute première fois dit que si les Ukrainiens votaient pour rejoindre l'OTAN, "ce serait leur décision". Auquel cas, "qu'il en soit ainsi", a-t-il ajouté. C'était un changement radical de sa position d'il y a deux ans lorsqu'il a accepté l'idée que l'Ukraine puisse rejoindre l'UE mais en exprimant une opposition catégorique à ce qu'elle rejoigne l'OTAN.

La colère et le langage industriel, exposé pour les téléspectateurs russes, a laissé la place à un numéro plus mesuré après que les caméras furent parties et la nourriture servie. Sans assistant pour le retenir et sans son personnel de sécurité qui l'avait accompagné jusque dans la salle de banquet, il a répondu ouvertement aux questions, appelant les journalistes par leurs noms. A la même époque l'année dernière, M. Poutine avait semblé heureux d'être démobilisé et pratiquement désengagé. Lors de cette rencontre, il a semblé particulièrement résolu avec son nouveau travail en tant que Premier ministre, qu'il a présenté comme étant essentiellement responsable de l'économie de la Russie.

La Russie rencontrait aujourd'hui des problèmes, a-t-il dit, qui exigeaient des solutions. "Les solutions du passé ne feront pas l'affaire." Les infrastructures de l'Etat, le logement, la santé et l'éducation, tous ces domaines ont besoin d'être restructurés. Cela représentait un aveu inhabituel que la Russie se traînait à présent dans des domaines où excellait l'Union Soviétique.

Il a réservé une hostilité particulière pour le Vice-président Dick Cheney, qui a fait récemment une tournée des anciens Etats soviétiques. "Il n'y a plus de menace soviétique mais ils essayent de la ressusciter", a déclaré M. Poutine.

Traduction [JFG-QuestionsCritiques]

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"Impasse en Ukraine : Le méchant contre le corrompu", par Lee Sustar.

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