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Paralysée en Syrie, la Turquie vise à créer un Sunnistan en Irak

Par Pepe Escobar
RT, le 9 décembre 2015

article original : "Crippled in Syria, Turkey goes for a 'Sunnistan' in Iraq"


L'« incursion » de la Turquie en Irak est une manœuvre froide et calculée. Et, une fois encore, le nom de ce jeu est — quoi d'autre ? — Diviser pour Régner.

La Turquie a envoyé au Kurdistan irakien — qui fait partie de l'Etat irakien — un bataillon constitué de pas moins de 400 soldats, soutenu par 25 chars d'assaut M-60A3. A présent, le nombre de bottes turques sur le sol au camp de Bachika, au nord-est de Mossoul, atteindraient désormais un total d'environ 600. Pour faire court, ce n'est pas un « camp d'entraînement » — comme Ankara le débite. C'est une véritable base militaire, peut-être permanente.

Cet accord louche a été passé le mois dernier, à Erbil, entre le Gouvernement Régional du Kurdistan (KRG) ultra-corrompu et le ministre turc des affaires étrangères d'alors, Feridun Sinirlioglu.

Des torrents de propagande turque jurent qu'il ne s'agit que « d'entraîner » les Peshmergas pour combattre L'Etat Islamique/Daech. Foutaises ! Le fait crucial est qu'Ankara est terrifié par l'alliance « 4+1 » qui combat l'Etat Islamique, alliance qui unit l'Iran, les Chiites irakiens et l'Armée arabe syrienne (AAS), de même que le Hezbollah, à la Russie.

En Syrie, Ankara est quasiment paralysé, après le « coup de poignard dans le dos » en abattant le Su-24 : révélations russes de complicité entre la première famille turque et le pétrole syrien volé (Bilal Erdogan, alias « Mini Me », nie tout en bloc) ; forces aériennes russes qui pilonnent sans relâche la cinquième colonne turkmène de la Turquie. Sans mentionner le déploiement des S-400 et même d'un sous-marin de troisième génération équipé de missiles de croisière Kalibr.

Ankara détourne donc l'attention vers l'Irak avec une « contre-alliance », faite de la Turquie, du KRG (qui vend — illégalement — du pétrole à la Turquie) et de Sunnites au nord de l'Irak, sous le prétendu leadership de la tribu tentaculaire Nuceyfi à Mossoul.

C'est le néo-ottomanisme dans toute sa grandeur en action. Nous ne devrions jamais oublier que pour l'AKP, au pouvoir à Ankara, le nord de la Syrie et le nord de l'Irak ne sont rien d'autre que des provinces de l'ancien empire ottoman, une extension orientale de la province turque du Hatay. Le phantasme (inavoué) du « Sultan » Erdogan est d'annexer tout cet ensemble.

Pendant ce temps, Daech contrôle toujours Mossoul. Mais les Sunnites irakiens — de même que l'Armée irakienne — préparent lentement une offensive. Donc, ce qu'Ankara veut avec sa base militaire à proximité de Mossoul, est d'être de la partie, et venant s'ajouter à cela deux programmes « invisibles » : protéger leur cinquième colonne turkmène, où qu'elle se trouve, et avoir plus de bottes sur le terrain pour combattre — qui d'autre ? — les Kurdes du PKK qui ont pris refuge dans le Kurdistan irakien.

Toute la logique du Sultan Erdogan est que Bagdad ne gouverne plus le nord de l'Irak (là, il a raison). Mais le problème, pour Ankara, est que les puissances réelles dans cette région pourraient s'avérer être les Chiites et le PKK (c'est tiré par le cheveux, mais c'est le raisonnement d'Erdogan).

Le Sultan Erdogan a des accords commerciaux extrêmement étroits avec le « Mafieux en chef » du KRG, Massoud Barzani — comme dans l'accord d'exportation du pétrole qui contourne, illégalement, Bagdad. Barzani, sans surprises, n'a aucun problème avec les desseins militaires turcs ; après tout « son » pétrole est acheté par les Turcs.

La manœuvre d'Ankara s'inscrit directement dans la guerre ultime du « Pipelineistan », c'est-à-dire l'affrontement entre eux projets concurrents de gazoducs, Qatar-Arabie Saoudite-Jordanie-Syrie-Turquie ou Iran-Irak-Syrie, au cœur de la tragédie syrienne.

La paranoïa d'Erdogan, selon laquelle la Russie pourrait couper les approvisionnements de gaz à la Turquie après le Su-24 abattu — une chose que Gazprom ne fera tout simplement pas — a conduit Ankara, en désespoir de cause, à forcer Bagdad, de façon mafieuse, à « accepter » un gazoduc qatari traversant l'Irak, et non le territoire syrien.

Il est inutile d'ajouter que ce plan tiré par les cheveux est absolument hors de question pour Bagdad, qui fait partie de l'alliance « 4+1 ». En outre, attendez-vous à ce que l'Iran — et la Russie — exploite par tous les moyens les divisions notoires des Kurdes pour planter les plans élaborés d'Erdogan.

Le résultat final attendu par Erdogan est quelque chose ! Il vise rien de moins qu'un « Sunnistan » irakien — dirigé conjointement par un KRG ultra-corrompu et divers Sunnites, mais sous des dispositions de sécurité turques. Comme si Washington et Tel-Aviv allaient le laisser s'en tirer avec cela !

Le fait est qu'au moins pour le moment, tandis que le jeu qu'il mène en Syrie pourrait tomber à l'eau, Erdogan a décidé de changer de sujet et de passer la vitesse turbo pour démembrer l'Irak.

Le cadeau

Et cela amène, une fois encore, à la question suivante : comment Daech a-t-il pu conquérir Mossoul (la deuxième ville d'Irak), l'année dernière, sans coup férir. Et cela après que son célèbre convoi de Toyota blanches flambant-neuves eut traversé le désert depuis la Syrie jusqu'en Irak en réussissant à ne pas se faire repérer par le système de surveillance par satellites le plus sophistiqué de l'histoire de l'univers.

Concernant ce mystère, les murmures persistants des services secrets dans tout le Moyen-Orient et parmi la coalition « 4-1 » ne peuvent que se transformer en volcan. Selon ce qui se murmure, le récit officiel — du Pentagone —, que l'Armée irakienne censée combattre l'Etat Islamique à Mossoul, l'année dernière, a eu la trouille et s'est tout simplement enfuie, est un mythe.

Comme nous le savons, l'Armée irakienne, entraînée par le Pentagone, a laissé derrière elle une quantité phénoménale de chars et d'armes lourdes, dûment saisis par l'EI. Et l'EI ne pouvait être plus chanceux en ramassant ce formidable « cadeau ».

Le nouveau récit juge que le pentagone a délibérément « donné instruction » à l'armée irakienne de s'enfuir, dans une sorte de retraite tactique, laissant derrière elle cet équipement fabuleux.

Ce que nous avons donc ici est un Pentagone parfaitement protégé par la capacité de nier de façon convaincante. Et un Etat Islamique dûment équipé en tant qu'armée mandatée pour le changement de régime en Syrie. Un outil parfait pour provoquer le chaos, en ligne avec l'objectif stratégique de « l'Empire du Chaos » en Syrie. Ce qui, soit en passant, inclut, en l'absence d'un changement de régime complet, la création, également, d'un « Sunnistan » en Syrie.

Oh ! Mais le Pentagone ne s'engagerait jamais dans de telles pratiques, n'est-ce pas ?

Copyright 2015 Pepe Escobar/[JFG-QuestionsCritiques]

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