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Aux électeurs zimbabwéens : votez Mugabe ou on vous descend !

Par Chris McGreal
The Guardian, mercredi 18 juin 2008

article original : "Zimbabwe's voters told: choose Mugabe or you face a bullet"

Un reportage de Chris McGreal, depuis le centre du pays, où la violence
et l'intimidation s'accroissent en vue du deuxième tour de la présidentielle



Des professeurs qui ont été roués de coups parce qu'ils ont soutenu
l'opposition après le premier tour de l'élection. Ils cachent leurs visages
de peur d'être à nouveau pris pour cible. (Photo : Robin Hammond)

Les soldats et les miliciens du parti au pouvoir ont rassemblé les habitants de Rusape comme du bétail sur un terrain derrière le club sportif local et ils se sont bien fait comprendre.

"Votre vote est votre balle", a dit un soldat à la foule terrifiée.

Tout le monde savait ce qu'il voulait dire.

"Ils disent que nous allons mourir si nous ne votons pas pour Robert Mugabe, qu'il y aura la guerre si nous ne votons pas pour Robert Mugabe", a dit une jeune femme méfiante, tenant dans ses bras un petit enfant. Mugabe le dit aussi dans ses discours à travers tout le pays, en vue du deuxième tour de l'élection présidentielle de la semaine prochaine, contre l'homme qui l'a battu au premier tour, Morgan Tsvangirai.

Mais la femme n'est pas restée là pour en discuter. La nuit est tombée sur Rusape, une petite ville du Manicaland ensanglanté, et elle est devenue de plus en plus inquiète en réalisant qu'elle pourrait ne pas être capable de rejoindre sa maison avant le couvre-feu non-officiel mis en place par la milice du parti au pouvoir.

Déjà, les pick-up Mitsubishi bourrés de jeunes hommes armés de bâtons, de lances et de couteaux, étaient dehors dans les rues, prêts à se rendre de portes à portes, pour rouer de coups, et parfois tuer, quiconque est associé à l'opposition.

"Ils pourchassent l'opposition. Ils disent qu'ils ont mangé du foie humain et qu'ils ont bu de l'urine pendant la guerre et, ainsi, qu'ils sont prêts pour une nouvelle guerre", a dit la jeune femme.

Les miliciens ont trouvé Farai Gamba, un organisateur de circonscription électorale pour le Movement for Democratic Change (MDC), le week-end dernier, et l'ont abattu. A Rusape, le président d'un groupe de scrutateurs zimbabwéens indépendants, a disparu samedi soir et on ne sait pas où il est. Beaucoup d'autres ont été torturés à la base locale de la milice.

Le couvre-feu de fait est en place parce que le parti au pouvoir, le Zanu-PF, ne veut pas de témoins de la terreur qui s'empare du Zimbabwe la nuit - et de plus en plus souvent le jour - alors que ce parti cherche à éviter une répétition de ce qui s'est passé il y a trois mois, lorsque Tsvangirai a battu Mugabe (toutefois, sans la majorité absolue qui lui aurait garanti une victoire immédiate).

La campagne [de terreur], qui a commencé par la tactique éprouvée de passages à tabac, a évolué en une stratégie militaire à grande échelle, d'enlèvements et d'assassinats des militants et des sympathisants de l'opposition. Plus de 100 d'entre eux ont été tués et 200 ont disparu. Des milliers d'autres ont été roués de coups si fort qu'ils en porteront les cicatrices à vie. Nombre de viols ont été rapportés, incluant trois femmes auxquelles on a enfoncé des perches en bois dans le vagin. Mais il n'est pas clair pour l'instant si ces attaques font partie d'un élément délibéré de la stratégie de terreur [qui, elle, est bien réelle].

Les cadavres sont souvent cachés, mais les tueurs aiment parfois exposer leur ouvrage en signe de mise en garde. Chokuse Muphango a été assassiné, la semaine dernière, au sud de Buhera. Ses tueurs ont placé son corps à l'arrière d'une camionnette et l'ont promené dans toute la ville en annonçant : "Nous avons tué le chien".

Les parlementaires, les maires et les conseillers du MDC ont vu leurs maisons brûlées et, terrorisés, ils ont été obligés de fuir. Des centaines de militants d'opposition sont en prison sur des accusations bidons d'incitation à la violence, après avoir été torturés et jetés sans ménagement dans les postes de police.

Des dizaines de milliers de supporters connus de l'opposition ont été sortis de force de leurs maisons ou ont vu leurs cartes d'identité détruites pour qu'ils ne puissent pas voter. Le gouvernement prépare aussi le terrain pour un trucage massif des élections, en purgeant le processus électoral des officiels indépendants, comme les professeurs, et en installant à leur place des fonctionnaires d'Etat et des soldats.

Quiconque pourrait se trouver en travers de leur chemin est poursuivi. Des groupes zimbabwéens indépendants, qui surveillent les élections, qui font campagne pour les droits de l'homme ou qui assistent les blessés, ont été forcés à la clandestinité après que leurs bureaux ont été attaqués et que leurs dirigeants ont été arrêtés. Les travailleurs humanitaires étrangers ont été interdits des zones rurales, afin qu'ils ne puissent pas être les témoins de la violence et de l'intimidation.

Mugabe a déclaré à maintes reprises qu'il considère le vote à venir, non pas comme une élection, mais comme la continuation de la lutte de libération contre l'impérialisme occidental et son "homme de paille" Tsvangirai. "Ce pays ne doit plus jamais être sous la coupe et le contrôle de l'homme blanc, directement ou indirectement. Nous sommes les maîtres de notre destin. De la même manière, quiconque cherche à saper notre programme de réforme agraire, le fondement-même de notre politique depuis des temps immémoriaux, cherche et obtient la guerre. Sur ces deux questions liées, nous sommes très clairs. Nous sommes prêts à entrer en guerre", a dit Mugabe, lors d'un rassemblement électoral le week-end dernier.

La stratégie consistant à riposter par la violence a été approuvée par le cabinet de sûreté de Mugabe, le Joint Operations Command, constitué de militaires de haut-rang et d'officiels du parti, peu après la perte du premier tour des élections, qui a été un véritable choc pour le Zanu-PF.

La campagne [de terreur] a pris pour cible des provinces comme le Manicaland, le Mashonaland et les Midlands, où le soutien pour le parti au pouvoir était traditionnellement fort, mais où il s'est fortement déplacé vers l'opposition, alors que l'économie a continué à imploser sous le poids de l'hyper-inflation, du chômage de masse et des pénuries alimentaires généralisées.

Le Zanu-PF a réalisé qu'il n'avait aucune perspective pour inverser le déclin économique. Depuis la première élection [il y a trois mois], l'inflation a bondi pour atteindre 1,6 millions de % et le dollar zimbabwe a chuté de Z$50 millions à Z$8Mds pour £1. Un professeur gagne en moyenne Z$40Mds par mois. Un litre d'huile de cuisson coûte Z$20Mds.

Le parti au pouvoir réprime la capacité de l'opposition à s'organiser sur le terrain, en chassant les militants locaux du MDC et en terrorisant les électeurs ordinaires. Le MDC craint que cela puisse marcher.

La jeune femme qui tenait fermement son enfant à Rusape a assurément reçu le message. "Nous sommes effrayés. Nous n'allons pas voter. Nous voulons juste vivre. Certaines personnes disent qu'elles voteront pour le Zanu-PF", a-t-elle dit.

Le directeur électoral national du MDC, Ian Makone, est forcé de se cacher depuis plus d'un mois. Il ne tient ses réunions que la nuit - "Je travaille la nuit. Je ne sors jamais pendant la journée" - dans une maison vide.

Depuis que Makone est passé dans la clandestinité, son directeur de campagne, Ken Nyeve, et son garde du corps, Godfrey Kauzani, ont été enlevés et assassinés en compagnie de Better Chokururama, le chauffeur de la femme de Makone. Sa femme, Theresa, est députée de l'opposition. Le corps de Better a été retrouvé en premier. Ils ont trouvé les deux autres quatre jours plus tard. Ils avaient été poignardés avec des couteaux et des tournevis. Leurs yeux ont été sortis de leurs orbites et leurs visages ont été brûlés ... C'est leur façon à eux. Ils vous font vraiment, vraiment ressentir la douleur avant de mourir", a dit Makone.

"Ils me cherchaient. Nous n'avions dit à personne où nous nous cachions, pas même à notre personnel. Peut-être que si nous leur avions dit, ils auraient pu survivre après leur avoir dit".

Chokururama a déjà passé plusieurs semaines à l'hôpital après un sévère passage à tabac après le premier tour. "Après cette élection, il était clair que leur stratégie était celle du châtiment. Ils avaient décidé de céder à la violence et de commencer à se positionner dans les circonscriptions-clés", a dit Makone. "Chaque jour, il y a des choses qui me font dire 'mais, diable, que faisons-nous ?" Je rencontre des gens qui disent 'les gens meurent, les gens souffrent, est-ce que ça en vaut la peine ?'"

Dans le Manicaland, où le vote s'est déplacé de façon importante du Zanu-PF pour donner la victoire au MDC, la stratégie est supervisée par le chef de l'armée de l'air, Perence Shiri, qui sème la terreur dans la population. C'est lui qui dirigeait la cinquième brigade et qui a tué environ 20.000 personnes durant les massacres du Matabeleland dans les années 80.

Parmi ceux qui ont fui les zones rurales de la province et se sont dirigés vers la ville principale de Mutare, se trouvent cinq parlementaires MDC qui n'osent pas se déplacer dans leurs circonscriptions ou même dormir chez eux. Parmi eux, il y a Lynette Karenyi, député de Chimanimani ouest. "Ils ont mis des bases du Zanu-PF dans chacune des unités de ma circonscription, où ils emmènent les gens et les tabassent", dit-elle.

Karenyi a dit que les meetings pro-Mugabe dans sa circonscription sont menés par Shiri et le gouverneur du Matabeleland, Tinaye Chigudu. "Shiri et Chigudu ont tenu un meeting où ils ont ordonné aux gens de tabasser les supporters du MDC. Après coup, la foule est partie tabasser les gens et piller leurs maisons", a-t-elle dit. "Ils ont aussi dit aux électeurs de dire qu'ils ne savent pas lire et écrire et que lorsqu'ils iront voter qu'ils ont besoin d'aide pour voter Mugabe. Maintenant, les gens ont peur que s'ils ne demandent pas d'aide, le Zanu-PF saura qu'ils ont voté pour l'opposition".

Un autre député de l'opposition qui s'est enfui vers Mutare est Prosper Mutseyami. "Ils sont venus trois fois à ma maison, qui se trouve à la campagne, pour me chercher au milieu de la nuit", a-t-il dit. "Ils ont enlevé tous les employés de mon parti. Ils sont 28 à être en détention à la police, accusés d'incitation à la violence. Il y a les assesseurs des bureaux de vote, trois conseillers, la secrétaire électorale". Il a dit qu'ils visaient les agents électoraux, afin que les bureaux de vote ne puissent pas être surveillés et pour décourager l'activité politique".

"On m'a refusé la permission de tenir des meetings sur la base qu'il n'y a pas de policiers disponibles. L'ironie est que le Zanu-PF tient des meetings quotidiennement dans ma circonscription".

Mutseyami dit que les meetings forcés du Zanu-PF sont souvent menés par le Général de Division Bandama. "Il menace les gens. Ils disent que la dernière fois qu'ils ont voté, ils ont mal voté. Si vous ne votez pas Robert Mugabe, nous apporterons la guerre", a-t-il dit.

Une organisatrice de district du MDC, à Makoni, qui a voulu garder l'anonymat, a dit que les miliciens ont tabassé ses enfants pour la contraindre à déverrouiller la porte de sa chambre au cours d'un raid nocturne tardif chez elle. Cette militante, toujours visiblement choquée par cette épreuve, a dit qu'on l'a obligé à monter dans un véhicule, à se déshabiller et qu'elle a été agressée sexuellement pendant des heures. "Ils m'ont frappée et ont crié : Tu es une salope. Ils m'ont laissée au poste de police. Ils ont pris une balle et me l'ont lancée. Ils m'ont dit : embrasse cette balle. Ils signifiaient par-là que j'allais mourir", a-t-elle dit. La police a jeté la femme dans une cellule après l'avoir inculpée de violence publique.

Le Zanu-PF a aussi pris pour cible des avocats des droits l'homme, les forçant à se cacher ou à s'exiler. Chris Ndlovu a défié les menaces pour représenter les supporters de l'opposition traînés devant les tribunaux à Mutare. "Les chiffres sont étourdissants. Dans certains endroits minuscules, il y a plus de 100 personnes en prison. Ils ont même arrêté des écoliers de moins de 14 ans. J'ai le cas d'un homme de 94 ans qui a été inculpé de violence publique. En 16 années passées en tant qu'avocat, je n'ai jamais vu ça. C'est sans précédent", a-t-il dit.

"Nous avons l'armée dans les zones rurales et ils prennent pour cible les supporters du MDC. Ils les enlèvent pendant la nuit et les emmènent à leurs bases où ils prétendent les 'réorienter', mais où ils ne font que les torturer. Lorsqu'ils en ont fini avec eux, ils les jètent au poste de police où la police n'a pas d'autre choix que de trouver une excuse pour les inculper. La victime est donc accusée d'être celle qui a commis la violence".

La milice s'est fait un point d'honneur de s'en prendre aux professeurs, qui ont traditionnellement agi comme des officiels électoraux neutres. Certaines écoles ont été laissées si vidées de leur personnel qu'elles peuvent désormais à peine fonctionner.

Felistance Sithole vit à Rusape, mais n'ose pas retourner enseigner dans une école près de Makoni-Sud, après avoir été menacée parce qu'elle était une officielle électorale au premier tour de l'élection. "Je ne le referai pas. J'ai peur. La plupart d'entre nous sommes effrayés", a-t-elle dit.

C'était l'intention du Zanu-PF. A la place des professeurs et autres éléments peu fiables, l'élection de la semaine prochaine sera supervisée par des employés du parti, des soldats et des fonctionnaires qui doivent leur travail au Zanu-PF.

Makone dit que la violence aura un impact. "Nous allons perdre une partie du vote rural. Mon estimation est que nous pouvons nous permettre de perdre 200.000 voix dans les zones rurales mais nous avons besoin de nous refaire avec le vote urbain. Nous faisons du porte-à-porte dans les zones urbaines pour mendier les voix. Nous tenons des meetings secrets la nuit dans les maisons des gens, leur disant que c'est leur seule chance".

Makone calcule qu'au moins un demi-million de supporters potentiels du MDC n'ont pas voté dans les deux principales villes du Zimbabwe, Harare et Bulawayo, au premier tour de l'élection, et qu'ils pourraient faire pencher la balance en faveur de Tsvangirai.

Le Zanu-PF semble avoir reconnu la même chose et a commencé à viser les bidonvilles d'Harare. Ces derniers jours, la milice du parti au pouvoir a touché Epworth, un bidonville à la sortie est d'Harare, où le Zanu-PF a établi cinq bases, qui sont appelées par euphémisme des "centres d'information", où les supporters du MDC sont persuadés de voir les erreurs qu'ils ont commises.

Dans le bidonville de Hatfield, la milice a réduit en cendres la maison d'un conseiller du MDC. Il ne se trouvait pas chez lui. Sa femme et son fils âgé de sept ans sont morts dans l'incendie.

Traduction : JFG/QuestionsCritiques


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