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ECONOMIE

FMI : risque accru d'un crack mondial

Par Philip Thornton, correspondant économique à Singapour

The Independent le 13 septembre 2006
article original : IMF: risk of global crash is increasing

Les marchés financiers ont été incapables d'intégrer le coût du risque que l'une quelconque de la multitude de menaces à la stabilité économique puisse se matérialiser et secouer l'économie mondiale. C'est l'alerte que le Fonds Monétaire International a lancée hier.

L'observateur en chef des finances mondiales a déclaré que le système financier avait prouvé sa résistance, jusqu'à présent, face aux récentes chutes de prix. Mais il a averti que le risque d'un crack était accru. Et lorsque l'on en vient à s'inquiéter d'un crack des marchés financiers, qui pourrait asséner un coup sanglant à l'économie mondiale, il semble que tous les chemins conduisent aux Etats-Unis.

Le FMI a insisté sur cinq risques majeurs. À part un, ils peuvent tous être attribués, à un degré plus ou moins grand, à l'économie américaine et à la politique du gouvernement américain. Non pas que le FMI, bien informé politiquement, le formule exactement comme cela.

Son message coïncide avec l'avertissement sévère émis par HSBC, l'une des plus grandes banques d'investissement au monde, qui a placé les Etats-Unis sur alerte pour "risque de récession".

Le FMI, qui tient sa réunion annuelle cette semaine, a émis sa mise en garde dans son Rapport sur la Stabilité Financière Mondiale (RSFM), publié deux fois par an et regardé à la loupe. Il souligne que le ralentissement brutal de l'économie américaine, déclenché par l'effondrement des prix de l'immobilier, est un risque majeur. Parmi les autres dangers, il y a :

* Une brusque montée de l'inflation qui forcerait les banques centrales, en particulier la Réserve Fédérale américaine, à imposer une augmentation brutale des taux, ce qui créerait une onde de choc sur les marchés émergents.

* Un rebond des prix du pétrole derrière les spéculations croissantes de tensions géopolitiques - une référence à l'affrontement entre l'Iran et les Etats-Unis à propos de la technologie nucléaire.

* Un dénouement soudain des déséquilibres records entre les surplus en Asie et les déficits aux Etats-Unis.

* Une mutation du virus de la grippe aviaire qui conduirait à un "déclin brutal de l'activité économique".

Jaime Caruana, le directeur du département monétaire et des marchés de capitaux du FMI, a déclaré : "Il apparaît que les Marchés intègrent peu de provision pour ces risques. Par conséquent, si l'un de ces risques ou une combinaison d'entre eux se matérialisait, les marchés financiers pourraient connaître une plus grande turbulence, qui mettrait les marchés internationaux sous tension, avec, probablement, un impact étendu à une économie mondialisée".

Il a dit que les marchés étaient maintenant plus attentifs à un ralentissement mondial conduit par les Etats-Unis qu'à la menace des déséquilibres mondiaux, qui a inquiété le FMI pendant les six dernières années.

Cependant, Hung Tran, l'adjoint de M. Caruana, a déclaré : "Des pays comparables comme le Royaume-Uni et l'Australie ont connu un retournement des prix, puis une décélération, et ce processus a été vu comme un atterrissage en douceur. Donc il y a de l'espoir - ce qui est notre argument central - que les Etats-Unis connaissent quelque chose de similaire.

"Cependant, il est clair que les risques sont sur l'inconvénient d'un ralentissement plus brutal que prévu [des prix de l'immobilier], qui produirait une croissance plus faible qu'attendue qui aurait des implications pour la croissance mondiale et les marchés financiers". Ce risque se transforme tout doucement en peur de l'effondrement du dollar. HSBC a émis une alerte de "risque de récession" sur l'économie américaine, qui déclencherait une chute brutale du dollar et de la livre.

David Bloom, un économiste de la mondialisation, a déclaré que les Etats-Unis ralentiraient brutalement l'année prochaine, précipitant les investisseurs à retirer leurs paris massifs sur les actifs américains, qui ont réussi, jusqu'à présent, à compenser les déficits commerciaux record. "Une fois que ces actifs cesseront d'être performants et que le dollar plongera plus bas, le cycle du dollar et des actifs pourrait se révéler plus brutal. Dès que l'on ne veut plus acheter d'actifs à cause de la chute du dollar, alors, en retour, le dollar commence à avoir des répercutions sur les actifs".

Le FMI a déclaré qu'il prenait pour hypothèse que toute baisse du dollar serait "régulière" mais qu'il pouvait y avoir une chute plus prononcée. Il a prévenu que l'une des raisons de la chute possible du dollar viendrait des investisseurs, s'il devenait clair pour eux que les économies dominantes du monde échoueront à prendre des mesures pour résoudre les déséquilibres entre l'épargne et la demande mondiales.

"Un ajustement progressif et régulier dépendrait très probablement d'un cadre politique crédible pour résoudre les déséquilibres mondiaux sur le moyen terme", dit ce rapport. "De la même manière, le risque d'un ajustement désordonné du dollar pourrait se produire en l'absence de la mise en place d'une politique encourageant les ajustements nécessaires des déséquilibres dans l'épargne et les investissements".

Le FMI a fait sa part du travail, en mettant en place une consultation bilatérale entre la Chine et les Etats-Unis, ainsi qu'avec l'Arabie Saoudite, pour trouver un moyen de résoudre ces déséquilibres.

Le thème principal des perspectives de l'économie mondiale, publié demain [le 14 septembre], réitèrera sans aucun doute que les Etats-Unis doivent réduire leur déficit, que la Chine doit libéraliser son système financier et permettre à sa devise de s'apprécier, que les pays riches en pétrole devraient investir leur manne dans la croissance, tandis que l'Europe devrait faire plus pour stimuler ses taux de croissance qui se traînent.

La chute du dollar accentuerait aussi l'inflation aux Etats-Unis, au fur et à mesure que les coûts d'importation croîtraient. Les pressions inflationnistes sont devenues plus fortes à cause des coûts énergétiques en forte progression.

Le RSFM a montré que tandis que les prévisions d'inflation de longue durée aux Etats-Unis se sont améliorées, la prime de risque relative à l'inflation que les investisseurs sont forcés de payer a décliné. "Que ces profits s'érodent et que les primes de risque pour inflation imprévue augmentent, alors le marché des actifs pourrait se retrouver sous pression avec des conséquences potentiellement négatives pour l'économie réelle", dit [aussi] ce rapport.

Pendant ce temps, les prix du pétrole ont grimpé hier de plus d'un dollar le baril, mettant fin à la récente série de baisse. Le prix du pétrole américain est repassé au-dessus de 66 dollars le baril après l'attaque manquée contre l'ambassade des Etats-Unis à Damas.

Sans surprise, le FMI n'a pas donné d'estimations sur les implications financières d'un crack du dollar. Mais le mois dernier, il a publié les travaux de recherche d'un économiste de premier plan qui a calculé qu'une chute de 10% du dollar effacerait 1.200 milliards de dollars de richesse détenue en actions et en obligations américaines pour le compte des étrangers.

Ces travaux de recherche ont trouvé que les investisseurs britanniques détenaient pour 471 milliards de dollars d'actifs, deuxièmes plus grands investisseurs étrangers aux Etats-Unis derrière le Japon. Toutefois, un effondrement national de 10% du prix des actifs effacerait l'équivalent de 5% du PIB, à comparer avec près de 15% si cela se produisait en Italie.

Le FMI a bien souligné, hier, que le consensus de prévisions montre aussi que le déclin régulier du dollar n'aurait pas les mêmes effets pour tous dans le monde. Selon les prévisions, la chute serait entièrement absorbée par la montée des devises japonaise, chinoise, coréenne, taiwanaise, singapourienne et malaise. Dans un registre général, le FMI a déclaré qu'en mai le système financier a résisté à une chute des prix et à une montée de la volatilité après une forte montée inattendue de l'inflation.

Le FMI a dit que les fondamentaux des grandes entreprises étaient toujours solides, que, sur la plupart des marchés, la valorisation des actions ordinaires n'était pas tendue et que les principales institutions financières faisaient des profits et étaient bien capitalisées.

Toutefois, il a fait remarquer : "Dans ces circonstances, il est raisonnable de se demander si les marchés financiers réagiraient à des développements moins favorables, d'une façon qui amplifierait les risques émergents - plutôt qu'elle ne les atténuerait". Une secousse dans les prix des actifs pourrait se déclencher n'importe quand, peut-être par un désastre naturel ou une épidémie du type de la grippe aviaire.

Le FMI a réitéré ses craintes qu'une crise réduirait l'appétit des investisseurs pour les investissements à risque, réduiraient les flux de capitaux entre les sociétés et affaiblirait les systèmes financiers au fur et à mesure que l'absentéisme augmenterait.

David Nabarro, le coordinateur principal de l'Onu pour la grippe aviaire et humaine, sera à Singapour ce week-end pour y rencontrer Jim Adams, le chef du groupe de travail de la Banque Mondiale sur la grippe aviaire.

Mais l'instabilité politique - comme celle qui s'est produite cette semaine aux plus hauts niveaux du Gouvernement Travailliste [de Tony Blair], et qui a assommé la livre - pourrait-elle déclencher un crack ? M. Hung a évité cette question spécifique, mais il a déclaré : "À court terme, ceci est très tumultueux et peut conduire à une incertitude dans les taux de change. Donc, nous essayons de considérer le moyen terme". M. Caruana a ajouté :"Il y aura toujours des surprises - mais les surprises sont les surprises".

Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]

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