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Le sexe, la France et quelques clés sur l'abus de pouvoir

Par Dick Polman
Times Colonist, le 25 mai 2011

article original : "Sex, France, and clues amid abuse of power"


A partir de maintenant, à chaque fois qu’une personne me dira que la presse n’a pas à explorer les vies privées des politiciens, je répondrai simplement ceci : « Arnold Schwarzenegger et Dominique Strauss-Kahn. »

Le public a le droit de savoir si les hommes qui détiennent ou aspirent à une fonction publique ont l’habitude de traiter les femmes comme des moins que rien. Ce n’est pas une question de sexe, c’est une question d’abus de pouvoir. Certains hommes puissants en arrivent à croire qu’ils ont le droit de se conduire comme ils veulent. Si la presse cache ces traits de caractère cruciaux, alors elle est complice de ces conduites.

Ce message est spécialement destiné aux Français. J’en parlerai dans un moment.

Dans le cas de Schwarzenegger, les médias ont essayé d’agir correctement. En automne 2003, à la veille de son élection au poste de gouverneur, le Los Angeles Times avait révélé qu’il était un peloteur de femmes en série. Ce quotidien a été très malmené pour son article : les Républicains déclarèrent que c’était un coup de la gauche, que c’était salir sa réputation, que cela n’avait rien à voir avec les qualifications de Schwarzenegger pour cette fonction. De toute façon, les électeurs l’ont très majoritairement élu, même après qu’il eut confirmé l’essentiel de cette histoire, lors d’une confession au cours d’une réunion électorale : « J’étais sur des plateaux de cinéma dévoyés et j’ai fait des choses qui n’étaient pas bien. »

J’étais présent à cette réunion électorale, alors que je couvrais sa campagne en Californie. Je me souviens que tout le monde a fait un grand silence durant sa confession. Toutefois, lorsque j’y repense, je ne peux m’empêcher de me demander comment les gens auraient réagi s’il avait été un peu plus loin et avait déclaré : « J’ai également fait une autre chose qui n’est pas bien. J’ai menti à ma femme, Maria, et j’ai eu des relations sexuelles avec notre bonne. J’ai mis cette femme enceinte et elle a donné naissance à mon enfant de l’amour cinq jours après que Maria a donné naissance à mon fils Christopher. J’ai gardé cela secret vis-à-vis de Maria – jusqu’à présent. Je vous prie donc de m’excuser pour avoir tant parlé de mes valeurs familiales dans cette campagne. Pour paraphraser mon personnage dans le film ‘Commando’, ‘J’ai menti !’ »

Evidemment, si Schwarzenegger avait fait cela, s’il avait confirmé les rumeurs qui circulaient alors à propos de cet « enfant de l’amour », il n’aurait pas pu exhiber Maria comme son bouclier féministe libéral. J’ai couvert le discours qu’elle a prononcé dans le Comté d’Orange et j’ai conservé les notes que j’avais prises. Aujourd’hui, ces citations méritent de prendre un peu de recul : « Vous pouvez écouter toutes les personnes négatives qui n’ont jamais rencontré Arnold ou qui l’ont rencontré cinq secondes, il y a 30 ans. Ou vous pouvez m’écouter, moi. […] Je ne serais pas ici devant vous si cet homme n’était pas un être humain de premier ordre. »

On ne saura jamais s’il aurait perdu cette élection dans le cas où les électeurs auraient été correctement informés pour mesurer le fossé entre son discours (« Pour moi, la famille a toujours été le fondement de tout ») et sa réalité. Mais, au moins, il est clair que cette conduite avec la bonne était en accord avec le modèle qu’il suivait depuis longtemps (un homme puissant prend une femme subordonnée comme récompense), et que faire remarquer qu’il ne faisait pas de différence entre « les plateaux de cinéma « dévoyés » et un comportement de dévoyé la maison aurait rendu service au public.

Ce qui nous amène aux Français. Ils sont un peu spéciaux.

Depuis l’autre côté de l’Atlantique, ils se moquent de nous pour nos reportages sur la vie privée des personnages publics. En 1993, lorsque j’étais à Paris pour écrire un sujet politique, un commentateur de premier plan, Philippe Moreau Defarges, m’a dit qu’il était perplexe par la couverture de la campagne de 1992 de Bill Clinton qui en faisait un coureur de jupons. J’ai commencé à lui expliquer « l’importance de la réputation », mais Defarges a secoué la tête avec dédain. Le problème, a-t-il dit, est votre « puritanisme ». Il a ajouté, « aux Etats-Unis, tout est affaire de sexe. Ici, ce ne serait jamais une affaire de sexe ».

Il avait raison. En France, ce n’est jamais une affaire de sexe – même pas si un homme puissant brandissait son sexe comme une arme contre les femmes. Telle est la culture du laissez-faire qui a engendré de façon complice Dominique Strauss-Kahn.

Si DSK (ainsi que les Français l’appellent) n’était pas confiné dans un appartement de Manhattan, équipé d’un bracelet électronique après avoir été inculpé d’agression sexuelle sur une femme de chambre d’un hôtel de New York, il serait toujours le grand favori pour remporter l’élection présidentielle française de 2012. En France, c’était depuis longtemps un secret de polichinelle que DSK était un « séducteur » agressif notoire, mais la classe politique masculine dans son écrasante majorité disait que sa vie privée ne regardait personne, et la presse, intimidée par de sévères lois contre la diffamation et de protection de la vie privée, a observé le code du silence. En 2009, un humoriste de la télévision a osé faire la satire de « l’obsession pour les femmes » de DSK et a été viré.

La culture française est organisée de façon à protéger les hommes puissants, ce qui est la raison pour laquelle la jeune journaliste française Tristane Banon est restée muette pendant neuf ans sur son allégation, selon laquelle DSK avait essayé de la violer au cours d’une supposée interview en 2002. (Il l’a terrassée sur le sol, dit-elle maintenant, et s’est comporté « comme un chimpanzé en rut ».) Elle ne voulait pas être persécutée une deuxième fois par une culture misogyne qui ne parvient visiblement pas à faire la différence entre le sexe consensuel et l’agression sexuelle.

Les hommes français puissants ont des amis puissants. DSK a Bernard-Henri Levy, le célèbre penseur-philosophe. Levy insiste pour dire que DSK est tout simplement « charmant et séduisant », qu’il est impossible que la femme de chambre ait pu nettoyer seule sa chambre et qu’il était scandaleux qu’un personnage haut placé comme DSK soit menotté et traité par la juge comme « un justiciable comme un autre ». Tout ceci fait penser à la réplique de Wood Allen dans Annie Hall : « Une chose à propos des intellectuels – ils prouvent que l’on peut être absolument brillant et n’avoir aucune idée de ce qui se passe ».

Peut-être que si DSK n’avait pas été aussi surprotégé par cette culture, il ne se serait pas senti libre d’utiliser son pouvoir contre les femmes – qui a culminé en une présumée agression sur une immigrée sans défense qui nettoyait des chambres d’hôtel pour élever son enfant. Peut-être que les Français réalisent maintenant que la réputation compte, que le public a le droit de disposer de tous les critères pour élire un candidat à la présidence.

Mais, bien sûr, ce ne sera pas le cas. Ce qui m’amène à John Ensign.

Vous souvenez-vous de lui ? Il était celui par qui le scandale est arrivé le mois dernier. Il est l’ancien sénateur du Nevada qui a utilisé son pouvoir pour coucher avec la femme d’un subordonné (la femme et le subordonné travaillaient tous les deux pour lui), puis il a essayé de les faire taire en s’arrangeant pour que ses riches parents leur versent 96.000 dollars. Ensign était pressenti comme un très grand espoir présidentiel jusqu’à ce que cette histoire soit révélée dans les médias – à juste titre, vu ses problèmes d’abus de pouvoir. Mais puisqu’il est si charmant et séduisant, il ferait probablement un président français parfait.

Dick Polman est éditorialiste pour le Philadelphia Inquirer.

© Copyright (c) The Victoria Times Colonist / Traduction : [JFG-QuestionsCritiques]

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